Cartier-Bresson : humain, trop humainRiche actualité autour du chantre de l'instant décisif : une rétrospective lui est consacrée en même temps qu'ouvre la fondation qui lui est dédiée.
| Henri Cartier-Bresson,
Arizona, États-Unis, 1947,
© Henri Cartier-Bresson / Magnum |
Si l'on nourrissait des doutes sur la fibre humaniste de Henri Cartier-Bresson, une visite à la toute nouvelle fondation qui porte son nom, dans un atelier d'artiste du XIVe arrondissement parisien, suffira à les lever. A l'exception de rares vues urbaines sans personnage, dont un escalier montmartrois saisi par Brassaï, la centaine d'images de l'exposition inaugurale ne parlent que de l'homme, de ses jours, de ses plaisirs, de ses peines. Aucune n'est de Cartier-Bresson. Celui-ci, à cinq ans de fêter son premier siècle, a sélectionné les œuvres de ses collègues, «celles qui me stimulent, me réjouissent ou me touchent», écrit-il en introduction du catalogue, et qui définissent comme un manifeste de sa propre activité. Des bas-fonds new-yorkais vus par Jacob Riis en 1888 aux chercheurs d'or brésiliens de la Serra Pelada (par Sebastião Salgado, 1986) défilent ainsi des scènes de jeux d'enfants, de guerres, de funérailles ou d'après-midi en chaise longue, signées Rodchenko, Riboud, Bischoff, Khaldei, Depardon ou Umbo.…
Pour voir les clichés de Cartier-Bresson, il faut en revanche s'astreindre à une longue file à la Bibliothèque nationale. Sur des cimaises disposés en labyrinthe sont accrochés ses célèbres reportages : le Mexique, en 1934, où il fréquente Alvarez-Bravo, qui restera toute sa vie un grand ami ; les villages de pierre et de chaux d'Andalousie et des Abruzzes ; la Chine révolutionnaire de 1949, jusqu'à la chute de Pékin ; l'Inde et l'Indonésie, où il part sur les traces d'Antonin Artaud. Les portraits invitent à une traversée du siècle : de Pieyre de Mandiargues en 1934, à Matisse avec sa colombe, d'Ezra Pound à Louis-René des Forêts en 1995. Celle-là est, en date, la dernière photographie présentée. En effet, depuis un quart de siècle, Cartier-Bresson utilise très peu son Leica. Lui qui fut l'élève d'André Lhote dans les années vingt, préfère dessiner : des nus, des vues de villes (le passage Choiseul à Paris, Newcastle, Malakoff depuis son atelier), encore et toujours des portraits d'amis. Cette dernière section, au fusain, à l'encre, au crayon, constituera pour beaucoup une découverte. Complétée par quelques vitrines en forme de cabinet de curiosités - la boîte de dragées datant de sa naissance, un faux diplôme produit à son intention par le dessinateur new-yorkais Saul Steinberg, ou le «book» qu'il présenta à Jean Renoir en 1935 pour être engagé sur ses plateaux - elle dessine moins la statue de Commandeur de la photographie du XXe siècle qu'un curieux perpétuel, jamais blasé, toujours en mouvement. Un homme, tout simplement.
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