La France de profilPeintre sans génie mais parfait homme des Lumières, Carmontelle a laissé une inégalable galerie de portraits du XVIIIe siècle.
«On ne résiste pas à la séduction de Carmontelle» écrit Gabriel de Broglie dans sa préface. Il est vrai que ce personnage aux multiples talents est attachant. Il est l’auteur de Proverbes, petites scènes qui firent florès, dans lesquelles il n’hésite pas à jouer du registre vulgaire ou scatologiques. Les gravures réunies sur Le Boudoir, Le Peintre en cul de sac ou L’Avocat chansonnier laissent deviner la truculence du propos. Diderot liquide cette production d’une phrase cruelle : «Ce que j’estime le plus dans ce petit recueil, c’est l’estampe qui est à la tête». Carmontelle est bien plus qu’un théâtreux. Employé par le duc d’Orléans, il se fait paysagiste - c’est lui qui crée le parc Monceau, avec son obélisque et ses colonnades grecques. Passionné par la science, il fréquente Buffon, d’Holbach, Grimm et Cesare Beccaria et invente un système de lanternes magiques. Mais Carmontelle, qui survivra à la Révolution - il meurt en 1806, à l’âge de 89 ans - est indéfectiblement lié à l’Ancien Régime. L’auteur, en choisissant le ton badin de la chronique, en l’agrémentant de citations, d’anecdotes - sur les vertus anti-rides du vinaigre de Maille ou sur le goût du père franciscain Hubert pour les belles pénitentes - aide à faire revivre cette atmosphère de fin de règne où tout est illusion. Carmontelle croque cette société comme s’il s’agissait d’un décor de théâtre, en respectant toujours le même ordonnancement. Les contours du visage sont à la sanguine, ceux du corps au graphite, le tout étant ensuite coloré à l’aquarelle ou à la détrempe. Point de recherche psychologique : ces belles âmes sont systématiquement de profil, en pose. Mais que les habits et les accessoires sont bien rendus ! Les jabots de dentelle, les crevés des robes, les cannes et les tabatières d’or, les souliers à talon et la poudre pour les cheveux… Bientôt disparaîtront l’intendant des menus plaisirs et le monde qui va avec. Il en restera ce témoignage - près de cinq cents portraits - que le duc d’Aumale ira racheter en 1877 à un major écossais pour le rapatrier, tel un trésor national, au château de Chantilly…
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