Les années Basquiat

PARIS. Peintre maudit ? C’est l’image qui lui colle à la peau, depuis sa mort par overdose à l’âge de vingt-huit. Jean-Michel Basquiat (1960-1988) serait censé représenter toutes les dérives existentielles d’une classe irrémédiablement éloignée de la culture officielle. L’accrochage de ses grandes toiles aux couleurs éclatantes sur les parois en pierre de taille du Musée Maillol fournit un contraste assez saisissant et pourrait entretenir le préjugé. On pense notamment à cet immense Diable rouge et noir, une toile de cinq mètres de large, qui clôt la perspective de la première salle. En réalité, ce fils d’immigrés haïtiens installés à New-York a eu une enfance bourgeoise. Il a fréquenté des musées, il a grandi entouré de livres. La célèbre Anatomie de Gray et une monographie consacrée à Léonard de Vinci ont nourri son travail, comme on peut le vérifier sur les œuvres exposées, qu’il s’agisse de sa réinterprétation de la Joconde ou des esquisses de membres - os de la jambe ou du bassin - qui réapparaissent de façon récurrente. L’œuvre de Basquiat amalgame évidemment beaucoup plus : le graffiti urbain à l’expressionnisme essentiel, l’extension irréversible de la publicité à la sphère privée (le tigre Esso dans Icarus Esso), la toute-puissance de la télévision et de la société du spectacle. Dans les salles suivantes, grâce à des exemples chosis, on mesure la rage de créer de Basquiat, qui a travaillé sur du plâtre, sur du papier (parfois photocopié et marouflé), sur des carreaux de faïence, sur des plaques de métal et sur du bois, sur un casque de joueur de base-ball ou sur un disque microsillon. Autant de matériaux parfois à peine préparés, grossièrement agrafés ou collés, ce qui pose la question de la conservation de ces pièces, dont la valeur est aujourd’hui très élevée. Basquiat symbolise une saison d’extraordinaire créativité urbaine, symbiose du geste physique de Pollock et de la démarche conceptuelle de Warhol, dont il fut un proche ami. Une saison dont les deux principaux représentants auront la même trajectoire de comète : après Basquiat, c’est Keith Haring qui disparaît en 1990.