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Expositions

Alger, laboratoire de l’architecture moderne ?

Le Corbusier, Pouillon, Simounet ou Niemeyer : ils ont tous travaillé dans la capitale algérienne.


Haby,
Remorqueurs Schiaffino dans
le port d’Alger, 1933
PARIS. Ce n’est pas la manifestation la plus médiatique de l’Année de l’Algérie en France mais c’est certainement l’une des plus intéressantes. L’exposition « Alger paysage urbain et architectures » a d’abord le mérite de rouvrir les salles magnifiques de l’ancien Musée des arts africains, en attente d’une affectation définitive. Elle permet ensuite d’apprécier à sa juste valeur une capitale méditerranéenne qui a connu un extraordinaire bouleversement urbain au XXe siècle. En 1830, lorsque l’armée française prend possession du pays, Alger ne compte que 30 000 habitants. Sur la carte du Génie militaire, dressée par le capitaine Boutin et présentée en début de parcours, on devine une grande bourgade. A côté de la Cassaba (sic) figurent de rares consulats étrangers - Suède, Hollande, Espagne ou Danemark - et quelques indications pittoresques : « lieu de débarquement de Charles Quint en octobre 1541 » ou « 18 fours construits à ce qu’il paraît lors de la descente des Espagnols en 1775 ». Deux siècles plus tard, Alger est une métropole de 3 millions d’habitants. Les souvenirs de la vieille ville ont disparu, à l’exception de quelques témoignages comme la mosquée de la Pêcherie. A la place, ont poussé des immeubles historicistes, néo-mauresques, Napoléon III.

La barre de Le Corbusier
Plans, maquettes et tableaux restituent le palais du gouverneur, dû à Jacques Guiauchain - à l’origine d’une lignée d’architectes locaux -, le casino, les magasins du Bon Marché. Les innovations appliquées en France sont aussitôt acclimatées à Alger : ainsi, Hennebique, le roi du béton armé, y connaît-il une activité florissante dans les années 1900-1920, tout comme les frères Perret. Nombre de projets ne connaîtront pas de suite : c’est le cas des bains publics imaginés par Henri Sauvage en 1901 en style Art nouveau, du surprenant plan Obus de Le Corbusier, qui voulait sur tout le front de mer une interminable « autostrade habitable » (1931) ou de ce ministère « brutaliste » de Claude Parent. Mais d’autres réalisations d’avant-garde prendront forme. Plus que la basilique du Sacré-Cœur avec son campanile en forme de cheminée de refroidissement de centrale thermique (Herbé, Le Couteur et Sarger), ce sont les programmes de logement qui retiennent l’attention. Les dessins présentés par Roger Simounet et ses pairs lors du Congrès international de l’architecture moderne à Aix-en-Provence, en 1953, sont de surprenantes analyses des bidonvilles de Mahieddine. Elles donneront naissance à la cité de relogement de Djenan el Hassan (1954-57) avec ses claustras et ses voûtes en briques creuses. Des photos contemporaines de Dominique Delaunay montrent que le quartier de Simounet, désormais cinquantenaire, est parfaitement intégrée au paysage urbain : animé par le linge coloré qui pend aux fenêtres, il ressemble à un site troglodytique du Mzab. Un autre symbole incontournable des années cinquante est la cité Climat de France de Fernand Pouillon, aux dimensions babyloniennes : deux mille logements, enchâssés dans deux cents colonnes. Malgré l’intervention de Niemeyer, qui a conçu l’université au début des années soixante-dix, Alger la Blanche semble avoir perdu le dynamisme qui l’a marquée dans les années qui ont précédé et suivi l’indépendance. Après avoir déployé son énergie, depuis trois décennies, dans des opérations immobilières ou d’emphatiques monuments commémoratifs, elle ne demande qu’à renouer avec sa créativité passée.


 Rafael Pic
03.07.2003