Portrait de Dubuffet en jeune artisteLa galerie Karsten Greve aborde, avec une petite sélection d'œuvres, la période fondatrice du pape de l'art brut.
| Jean Dubuffet, Le Géographié,
1955, huile sur toile, © Adagp,
Paris 2003 |
PARIS. Dubuffet - l'une de nos gloires nationales - est un débutant tardif. Né en 1901, il ne signe sa première exposition personnelle qu'en 1944, chez René Drouin. Tardif mais efficace : dès les années 1950, il est internationalement reconnu. Ami de Pollock, de Queneau (son camarade de classe au Havre), de Duchamp et de Paulhan, il est exposé en 1958 à Francfort par Daniel Cordier. Quatre ans plus tard, il peut se permettre d'acheter un pavillon rue de Sèvres, à Paris, pour y montrer, de façon permanente, les créations d'art brut qu'il prend le temps de collecter à travers le monde. L'exposition explore cette quinzaine d'années - 1943-1958 - avec autant d'œuvres. Mais elles sont bien choisies et présentent l'intérêt, pour certaines, de n'avoir jamais été vues en France.
A bas la culture
C'est à partir de 1944 que Dubuffet, qui a travaillé dans une usine de chauffage central à Buenos Aires, qui a été météorologue sur la tour Eiffel (pendant son service militaire) puis qui a repris le négoce en vins de son père, peut se dédier à temps plein à la peinture. Peinture est un mot qui induit en erreur. Dubuffet, qui défend une position «anti-culturelle», expérimente en réalité, très vite, avec tous les matériaux : le bitume, les textiles, les ailes de papillons, dont il recueille les empreintes, le sable du Sahara, les cailloux, la colle, qu'il pétrit sur toile ou sur isorel jusqu'à en faire des compositions en relief, à mi-chemin entre sgraffites de la Renaissance et gravures rupestres.
L'énigme des Texturologies
Le premier tableau, Vache et Eleveur, de 1943, est un peu à l'écart de cette tendance. «Il ne devait pas figurer dans l'exposition, précise Karsten Greve. Il devait y avoir un autre tableau à sa place mais je l'ai vendu juste avant l'ouverture. Je n'aime pas trop les pastilles rouges, ça magnétise trop les regards et ça établit des hiérarchies discutables.» Placées sans respecter une chronologie stricte, les œuvres sont à savourer comme des poèmes matériels, où les titres sont autant de pirouettes burlesques. Ainsi ce Bel Paese, collage d'empreintes, ou ce Hauts Lieux du Mariage, qui est en réalité un portrait de Werner et Nora Schenk. La dernière salle est la plus inattendue : on y trouve trois Texturologies de 1958, des champs de taches, de mouchetures, d'où toute figure humaine est absente et que les amateurs de Dubuffet ont parfois du mal à relier au reste de son œuvre.
| Pierre de Sélène 13.09.2003 |
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