La face cachée de Moon

TOULON. En voyant ces images en blanc et noir, ou sépia, on cherche, c'est tout naturel, à les encadrer dans un système de références. On croit voir des portraits victoriens par Julia Margaret Cameron ou Lewis Carroll. On imagine des influences croisées de l'expressionnisme allemand, des poupées de Bellmer, ou de la photo de mode des années trente, Horst nommément. On penserait même aux clichés de plantes, précis comme des radiographies, de Karl Blossfeldt. Ce qui peut sembler surprenant dans le cas de Sarah Moon, qui joue avec bonheur du flou, aussi bien dans ses photographies que dans ses films pour la mode, qui ont assis sa réputation. Une fois dressé ce panorama d'emprunts potentiels, on est prêt à l'oublier et à se plonger dans ces images, qui sont autant d'histoires à reconstituer, au gré du regardeur.

Très triste cirque
L'accrochage à la Maison des arts de Toulon, une structure gérée par le Conseil général, est ambitieux. Il se développe sur deux étages, par petites salles ou «ambiances», ce qui permet de voir plus d'une centaine d'images. Au rez-de-chaussée, l'une d'elles est consacrée à Circuss, son dernier court-métrage. C'est l'aventure triste, racontée en ellipses, en phrases brèves, sur fond de flaques d'eau, de reflets sur le bitume, de chutes de neige, d'un cirque ukrainien condamné… Un petit monde, qui naît et disparaît, dans le mystère. Mystère qu'aime entretenir Sarah Moon et que l'on retrouve partout. Ces personnages sont-ils des femmes en chair et en os, des animaux réels ou des taxidermies du Muséum ? Par le jeu du clair-obscur, cette femme nue semble presque habillée. Par le jeu des surimpressions, cette écume sur la plage semble de la dentelle. Et l'ombre de l'arbre se confond avec l'arbre lui-même… Le mystère, qui porte en soi le rêve, est l'aliment primordial de Sarah Moon. On regrette simplement qu'il ne soit pas un peu levé dans le catalogue, que n'y soient pas explicités la technique du développement, le travail sur le papier, le jeu des empreintes. Persistances cartésiennes…