Mémoires de muséesLes souvenirs de Michel Laclotte, qui fut patron du Louvre, montrent la spectaculaire transformation des musées au cours du dernier demi-siècle.
S'il fallait obéir à la dictature de l'actualité, ce livre serait déjà dépassé puisqu'il est paru au printemps dernier. Cependant, retraçant avec force anecdotes un parcours exemplaire de conservateur, de la fin des années 1940 à nos jours, on ne peut guère le considérer comme daté, surtout lorsque le plus grand musée de France, sujet en permanence brûlant, en constitue l'ossature. Michel Laclotte revient par ailleurs sous les feux de la rampe par le biais de l'exposition Duccio à Sienne, dont il est l'un des promoteurs. Laclotte est à la jonction de deux générations. Celle qui le précède est constituée d'érudits gérant des coffres à trésors encore réservés aux «happy few». La petite histoire concernant Charles Sterling, son aîné, est symptomatique. Le jeune conservateur est chargé d'accompagner Bernard Berenson dans les salles du Louvre. Le minuscule et célébrissime historien d'art lui demande s'il a de la fortune. A la réponse négative du jeune stagiaire, Berenson, sévère, lui conseille de changer de métier. La génération suivant Laclotte est celle qui doit diriger, en «manager» averti, des lieux d'extrême affluence.
D'Avignon au Grand Louvre
Laclotte fréquente ces deux époques. Après de longues années à développer les musées de province - on lui doit la création du Musée du Petit Palais à Avignon, avec sa remarquable collection de primitifs italiens - Laclotte couronne sa carrière, de retour à Paris, avec la direction du Musée d'Orsay, puis celle du Louvre. Il y sera un acteur essentiel du projet pharaonique voulu par François Mitterrand. Le livre est de lecture aisée : il se présente comme une longue interview, où questions de François Legrand et réponses se veulent aussi compréhensibles que possible. Il brosse un tableau détaillé et vivant des révolutions qui affectent le monde muséal en France dans l'après-guerre. On y assiste à la naissance du système des musées nationaux, conçue par Louis Hautecœur et Jacques Jaujard. On voit défiler une impressionnante galerie d'historiens d'art comme Roberto Longhi, Germain Bazin, Richard Offner ou Anthony Blunt, expert du XVIIIe siècle en même temps qu'agent double…
Raymond Barre et Piero della Francesca
Le charme du livre tient à la quantité d'anecdotes, qui ne sont pas des futilités gratuites mais qui servent à illustrer un discours construit. La rocambolesque histoire du journaliste de Combat, George Isarlo, enfermé dans sa chambre d'hôtel avec son immense documentation, plus tard rachetée par l'institut Wildenstein, pose la question de la critique : jusqu'où peut-on aller dans la démolition d'une exposition ? La découverte fortuite d'un Georges de La Tour par l'ancien Mousquetaire du tennis Pierre Landry montre le rôle du hasard dans la constitution des collections. Et l'appel in extremis à Raymond Barre, dans son avion vers la Chine, pour arracher à la concurrence le Portrait de Malatesta, par Piero della Francesca, prouve qu'une politique ambitieuse ne peut se faire qu'avec l'appui du pouvoir…
| Pierre de Sélène 31.10.2003 |
|