Van Gogh dans le textePeintre mais aussi épistolier frénétique : c'est ce que confirment les lettres écrites durant le séjour français de l'artiste, qui nous parviennent dans leur forme originale.
On sait depuis longtemps que la relation de Vincent avec son frère Théo a constitué l'un des fondements de sa vie d'artiste et que ce lien s'est exprimé de manière prioritaire à travers la correspondance. On connaissait ces lettres mais voici qu'on peut désormais les découvrir dans une version saisissante : en fac-similé. La graphie de Van Gogh n'est pas toujours facile à déchiffrer, surtout lorsque son écriture aplatie est déformée par des encres grasses ou, quand, par manque de place, il la rapetisse au maximum. Nous ne sommes pas tous Théo et le volume de transcriptions est donc bienvenu même si l'on peut trouver peu maniable la présentation en trois tomes - le dernier étant consacré à l'analyse des textes. Pour bien comprendre chaque missive, il convient en effet d'avoir trois livres ouverts en même temps. Une fois surmontés ces quelques obstacles, on peut se plonger dans un univers écrit qui reflète les difficultés économiques de l'artiste et, surtout, explicite les obsessions reportées sur la toile.
Vue sur chambre à Arles
«Je crois que je dois t'avertir de suite que j'aurai encore besoin de 5 ou même 10 mètres de toile. Et que en même temps il me faudra alors aussi 3 gros tubes comme le blanc d'argent et de zinc de bleu de Prusse…» écrit Vincent le 26 septembre 1888 avant de continuer, le lendemain : «Les études actuelles sont réellement d'une seule coulée de pâte». Mais Vincent va plus loin dans la description. Autant que possible, quand il détaille un tableau en devenir, il joint un croquis à son frère. Des cigales enserrées dans des lignes de texte, des papillons ou un «verger rose pâle» griffonnés à la fin d'un paragraphe, mais aussi le semeur, les meules ou les champs sous les étoiles à grandes hachures. Et sa si célèbre chambre à Arles qu'il commente le 17 octobre : «cela m'a énormément amusé de faire cet intérieur sans rien, d'une simplicité à la Seurat. A teintes plates, mais grossièrement brossées, en pleine pâte, les murs lilas pâle…» S'il avait su qu'elle deviendrait un poster reproduit à l'infini ! Ces lettres, qui ont fasciné Artaud et tant d'autres, demeurent un matériau inégalable. A travers les doutes, les angoisses et les enthousiasmes exprimés en langage cru, elles nous initient au mystère de la création chez le «réprouvé de la société».
| Pierre de Sélène 28.10.2003 |
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