Modigliani-Klimt : duel à 20 millions de dollars

NEW YORK. Le marché de l'art en crise ? On en douterait à la consultation des catalogues des grandes ventes d'automne. Celles consacrées à l'impressionnisme et à l'art moderne, qui se tiennent à Manhattan les 4 et 5 novembre, sont impressionnantes. Le produit attendu par les deux concurrentes Christie's et Sotheby's est estimé à plus de 200 millions $. Cette réunion provisoire de chefs-d'œuvre peut être lue comme une véritable histoire de l'art du dernier siècle et devrait constituer une visite obligatoire pour les étudiants… Plusieurs Monet (dont, évidemment, des Nymphéas), plusieurs Van Gogh (un délicieux Nature morte, branche d'amandier), plusieurs Picasso, plusieurs Cézanne (dont Une moderne Olympia qui appartint à Auguste Pellerin)… Et l'on parle ici de tableaux et non de dessins : une seule de ces œuvres ferait l'événement si elle était adjugée à Paris. Ce qui n'est pas le cas et qui permet de relativiser les discours sur le rééquilibrage du marché international.

Temps de guerre
Les deux estimations les plus hautes concernent un nu de Modigliani (chez Christie's) et un paysage de Klimt (chez Sotheby's) : tous deux sont évalues entre 20 et 25 millions $. L'odalisque couchée et vue de dos est l'un des trente nus réalisés par Modigliani. Cette belle pièce de 1917, qui a appartenu à Léopold Zborowski et à Jacques Netter, est d'une construction très classique. Ceux qui n'y trouvent pas l'étirement des proportions ou l'aspect un peu ligneux propres à l'artiste seront peut-être davantage comblés par une pièce bien moins dispendieuse (1,2 million $), proposée chez Sotheby's le lendemain : un Portrait de Léopold Zborowski, lequel fut le principal marchand de Modigliani. Quant au paysage de Klimt, c'est la création d'un artiste au sommet de sa maturité. Le peintre, qui a dépassé la quarantaine, y transcrit l'atmosphère paisible et fleurie de la maison de campagne où il passe ses étés avec sa compagne Emilie Flöge, à la veille de la Grande Guerre.

Tribulations d'un Léger
Ce tableau, spolié pendant la Seconde Guerre mondiale, a été rendu à ses propriétaires après avoir été exposé pendant des décennies à la Osterreichische Galerie de Vienne. Les œuvres restituées constituent désormais un segment très significatif pour les maisons de ventes comme le prouve une autre composition majeure, La Femmes en rouge et vert de Fernand Léger (estimée 10 à 15 millions $ chez Christie's). Après avoir été saisie par l'armée allemande en octobre 1941 au domicile de son propriétaire, le galeriste Léonce Rosenberg, cette toile de 1914 a été plus tard confiée au Centre Pompidou. Curieusement, l'origine de cette pièce majeure n'a été déterminée qu'en 1999, après étude de documents conservés aux archives fédérales allemandes. Il passe sous le marteau moins de trois mois après sa restitution. On pourra à cette occasion avoir une pensée pour un autre grand marchand, Daniel-Henry Kahnweiler : le tableau lui avait déjà été saisi lors de la Première Guerre mondiale mais il ne put, pour sa part, jamais le récupérer.