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Carriès lâche ses monstres

Le bestiaire inventé par le sculpteur Jean Carriès n'a rien à envier aux loups et aux dragons de la fable.

Son nom ne dit plus grand chose. Pourtant Jean Carriès a créé un univers à la mesure de celui d'autres grands visionnaires comme le facteur Cheval. Un livre pour enfants, dans une nouvelle collection, repart des «fondamentaux» : le texte raconte la vie de l'artiste, illustrée uniquement par ses œuvres. Pour Carriès, il y a de quoi faire pleurer dans les chaumières. C'est un personnage à la Dickens : orphelin à six ans, il perd sa sœur adorée lorsqu'il entre dans l'âge adulte puis s'éteint lui-même de la tuberculose alors qu'il n'a pas quarante ans, miné par tous les oxydes qu'il a manipulés dans son four de potier. Les images montrent successivement ses sculptures de jeunesse - des enfants poupins qui feront sa gloire, mais pas sa fortune - puis ses expérimentations avec le grès de la Puisaye.

Tous au Petit Palais !
C'est alors qu'il commence à peupler ses créations de monstres. Rictus, pustules, nez écrasés, oreilles pointues qui s'étalent sur les pages, souvent en gros plan, empêcheront-ils les enfants de dormir ? Eux qui voient quotidiennement du sang et des armes à feu ne seront-ils pas choqués par le simple spectacle de la difformité ? Le commentaire entretient l'attention par un ton vif et une accumulation d'anecdotes. Comment Carriès obtenait-il ses patines admirables ? La recette semble issue d'un grimoire de sorcière, à recommander à Harry Potter : prunes trop mûres, jus de fruits d'Orient, fumier, silex broyé… Comme tout artiste qui se respecte, Carriès a un grand œuvre à accomplir. Chez lui, comme chez Rodin, il s'agit d'une porte colossale, de vingt mètres de haut. Elle lui est commandée par Winaretta Singer, l'héritière du magnat des machines à coudre. Il ne l'achèvera jamais mais il en reste des fragments surprenants au Petit Palais, à Paris. Les jeunes lecteurs pourront écrire d'une belle plume sur leur agenda Chevignon : « à visiter dès sa réouverture ! »


 Pierre de Sélène
28.11.2003