Paris-Barcelone, un dialogue dans le siècle

On se souvient des grandes expositions des premières années du centre Pompidou, «Paris-Berlin» ou «Paris-Moscou», qui exploraient dans leurs moindres implications l'attraction réciproque que pouvaient exercer l'une sur l'autre de grandes villes européennes. Le Grand Palais en propose une nouvelle approche, qui met aux prises Paris avec la capitale catalane. L'entrée en matière est une confrontation attendue entre les ténors de l'Art nouveau (ou Modernisme en Catalogne), l'équipe Guimard contre l'équipe Gaudi, chaque chef de file abritant dans son ombre des collègues doués, Georges de Feure, Puig i Cadafalch, Jujol, etc. L'art fuit la symétrie et la ligne droite mais - les vérins qui fixent les panneaux de toile céladon aux murs semblent là pour le rappeler - entend nouer un lien fertile avec le monde industriel. Des boîtiers de crémone aux poignées de portes, des coiffeuses aux pieds de banc, ceux que l'on n'appelle pas encore les designers s'attaquent à tous les domaines.

Pas de surprise : le pivot de l'exposition est bien Picasso. Sa chronologie personnelle ne pouvait pas mieux symboliser le propos des commissaires. Après une année à Barcelone, où il passe le plus clair de ses journées au cabaret Els Quatre Gats, dans la vieille ville, il débarque à Paris en 1900. Sur les Ramblas, Picasso fréquente Isidre Nonell, Pere Romeu, Santiago Rusiñol, de joyeux lurons qu'il retrouve pour la plupart à Paris, dans des cabarets qui ressemblent comme deux gouttes d'eau au précédent. Picasso - ses amis aussi - digère toute la peinture française en quelques mois. Son Tub et un hommage non voilé à Degas, son Moulin de la Galette sent son Toulouse-Lautrec. Passé le temps de l'apprentissage, voici venir celui des expérimentations avec le cubisme, qui naît à Céret, où se retrouvent Herbin et Braque, Picasso et Gris. Une vraie commission paritaire !

Entre retour à l'ordre sous les auspices de Puvis de Chavannes et dadaïsme mis en image par Picabia, la partie de ping-pong continue. Picasso fait une caricature du marchand parisien « Douran-Rouel » tandis que le galeriste barcelonais Dalmau expose le u descendant un escalierHollandais volant). Les fiançailles connaissent un coup d'arrêt avec l'arrivée du franquisme. Mais auparavant, quel chant du cygne ! Man Ray rend visite aux extraordinaires photographes catalans Masana, Godes et Catala Pic. Le Corbusier adapte à leur capitale son célèbre plan Voisin, transformé en plan Macià, du nom du président de la Généralité. Dans l'autre sens, José Luis Sert dessine le pavillon de l'Espagne pour l'exposition parisienne de 1937. Devant le bâtiment, un Faucheur de Mirò, qui disparaîtra. A l'intérieur, un symbole qui aura un tout autre destin : le Guernica de Picasso. Paris le renverra en Espagne, une fois la dictature liquidée. En oubliant sa flamme d'autrefois : c'est Madrid, et non Barcelone, qui le recevra, pour en faire un monument national…