Accueil > Le Quotidien des Arts > Paris Photo à l’heure mexicaine

Marché

Paris Photo à l'heure mexicaine

Cuvée «classique» pour la manifestation parisienne, qui accueille le Mexique : on trouve moins de cibachromes géants mais davantage de tirages vintage à des prix abordables.


René Burri, San Cristobal, Mexico,
1976 - Maison dessinée par Luis
Barragan et Andrea Casillas
Courtesy Magnum Photos, Paris
PARIS. Les galeristes américains ne viennent plus en Europe ? Ce n'est pas le sentiment que l'on éprouve en parcourant les travées du 7e Paris Photo, au Carrousel du Louvre. Sur les 93 galeries, étrangères pour les deux tiers, dix viennent des Etats-Unis. C'est l'occasion de fréquenter quelques gros calibres comme Howard Greenberg ou Staley-Wise. A cela s'ajoutent, pour compléter le panorama transaméricain, huit jeunes galeries mexicaines, invitées de la section «Statement» (nonobstant Daguerre et Nadar, l'anglais est devenu la langue officielle de la photographie). Si les thématiques sociales, dans la lignée d'Alvarez-Bravo, continuent d'être une source d'inspiration essentielle, cela n'empêche pas nos contemporains d'utiliser le dernier cri de la technique, comme chez Francisco Larios. Ses héroïnes illustrant la condition féminine - nues, en armes ou en habits de travail - sont numérisées sur fond de pâquerettes (2500 euros chez Emma Molina). Encore plus avant-gardiste est Iñaki Bonillas. Il réinvente les monochromes en s'inspirant de la technique du calotype de Fox Talbot. Sa série de neuf images d'un mur, dont la teinte ne varie qu'en fonction de l'intensité du tirage, est proposée à 4500 euros à la Galería de arte mexicano. En abandonnant «Statement», on pourra retrouver ici ou là le fil mexicain, par exemple avec les architectures de Luis Barragan interprétées par René Burri chez Magnum.


Maya Goded, Mexico, Costa
Chica, Oaxaca, Collantes
, 1994
Courtesy Magnum Photos, Paris.
L'extraordinaire saga de Centelles
Pour le reste, comme chaque année, le salon peut constituer un parcours idéal dans l'histoire de la photographie. On débutera par exemple avec les daguerréotypes chez Serge Plantureux ou avec le petit cabinet noir de Laurent Herschtritt - une option théâtrale qui est toujours aussi efficace - où sont présentées des marines de Le Gray. Du stand de Kraus, avec ses vues égyptiennes de Félix Teynard, on pourra bondir à celui de 19/21 pour un aperçu de la photographie documentaire, de Charles Nègre à Lartigue. Le Barcelonais Kowasa présente, à des prix contenus, des grands noms de la photographie catalane comme Catala Pic et ses montages publicitaires des années trente pour Cinzano (1750 euros) ou les célèbres images de guerre civile d'Agusti Centelles, un auteur-phare de la première moitié du siècle. Son histoire est peu commune : réfugié en France au début du conflit, il laisse sa valise pleine de négatifs chez les fermiers qui l'accueillent. Il la retrouvera des décennies plus tard, intacte, et pourra effectuer lui-même de nouveaux tirages de ses vues. La galerie présente des exemplaires des deux périodes à des prix comparables (moins de 2000 euros).


Alejo Mauricio, Interiors, 2003
C-print, 80 x 100 cm.
Courtesy Galeria OMR, Mexico
Du côté du Siècle d'or
De Lucien Hervé, le photographe attitré de Le Corbusier, on voit un reportage intéressant sur la naissance de Brasilia, datant des premiers temps de la capitale brésilienne (1961) avec d'efficaces jeux géométriques. Il s'agit de tirages d'époque, n'excédant jamais deux ou trois exemplaires (3 500 euros chez Camera Oscura). Les collages de Georges Hugnet chez 14/16 Verneuil ou les photos de Gary Lee Boas sur les fêtes folles de Hollywood avec sexe et boisson sont un avant-goût des expositions à venir dans ces deux galeries. Et la création actuelle ? Impossible évidemment de la résumer en quelques lignes. On notera cependant le dynamisme des artistes scandinaves, Finlandais surtout, avec la série des portes d'Esko Männikkö aux étonnants cadres de bois brut (galerie Cent8) ou les ombres de Jorma Puranen (chez Taik, 2 500 euros). Filles du Calvaire présente un bon panorama français mêlant les paysages habilement surexposés de Thibaut Cuisset avec les jeux d'ombre de Corinne Mercadier. Enfin, la nature morte inspire certains pour des séries de longue haleine. Celle d'Abelardo Morell sur les livres, saisis de face, sur la tranche ou dans l'intimité des feuilles roussies, est particulièrement saisissante (un grand tirage chez Bonni Benrubi à 5 500 euros). Chez le même galeriste, on voit de Zachary Zavislak Proportion and Harmony, un melon tranché et un concombre sous une lumière oblique. C'est une réinterprétation, réussie, du plus grand peintre de natures mortes du Siècle d'or espagnol, mystique et matérialiste, Sánchez Cotán. Etre très moderne, c'est parfois être très ancien.


 Rafael Pic
13.11.2003