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Patrimoine

Aillagon décentralise les monuments historiques

La commission Rémond préconise de transférer aux collectivités territoriales près de la moitié des monuments appartenant au ministère de la Culture.


Château du Haut-Koenigsbourg
Photo A.Lonchampt-Delehaye
© Centre des monuments
nationaux, Paris
Pour le ministre de la Culture, la cession de certains monuments historiques aux collectivités locales est un corollaire naturel de la loi sur la décentralisation, dont le vote devrait intervenir au premier trimestre 2004. Encore fallait-il savoir quels monuments… Pour traiter cette épineuse question, qui ne manquera pas de soulever d'abondantes polémiques, le ministre a préféré s'en remettre à une autorité indépendante. René Rémond, président de la Fondation nationale des sciences politiques, a été invité à faire le tri, en compagnie d'un aréopage compétent d'élus, d'experts du patrimoine et d'universitaires. La commission a étudié les quelque 400 bâtiments dépendant de la Direction de l'architecture et du patrimoine (ceux, et ils existent, qui dépendent des autres directions du ministère, feront l'objet d'un comptage séparé). Le résultat chiffré ? L'Etat doit conserver, on s'y attendait un peu, la propriété des 87 cathédrales (86 en réalité puisque celle d'Ajaccio va être transférée à la communauté territoriale de Corse). Pour les autres, la tendance est plutôt «cessionniste» : pour 84 d'entre eux, le transfert est possible, pour 78, il est franchement souhaitable, soit, au total, 162 monuments.


Abbaye de Silvacane, Bouches du
Rhône. Photo Marc Tulane © Centre des
monuments nationaux, Paris
Protéger la mémoire nationale
Quels critères justifient le maintien des monuments dans le giron de l'Etat ? La commission en a énuméré un certain nombre. L'appartenance à la mémoire de la nation est le premier : les champs de bataille ou le château de Villers-Cotterêts, où François Ier a signé l'édit imposant l'usage de la langue française, en font partie, comme les palais nationaux, occupés par les dynasties régnantes. Le rayonnement international en est un autre. Comment abandonner Ferney-Voltaire, Cluny - même s'il n'y reste plus grand chose - ou l'abbaye de Fontevraud où sont enterrés les Plantagenêt anglais ? La nécessité d'avoir un «échantillonnage judicieux» jusqu'aux «âges les plus récents» milite pour l'inclusion de la villa Savoye de Le Corbusier… mais pas pour celle de la villa Cavroix de Mallet-Stevens, à Croix, près de Lille.


Villa Savoye à Poissy, Yvelines, par
Le Corbusier, photo Jean-Christophe Ballot
© Centre des monuments nationaux,
Paris
Les deux tours de La Rochelle
Par exclusion, tous les autres sont susceptibles de passer sous une bannière locale. L'exigence de rationalité est invoquée pour la cession de monuments voisins, qui pourraient mener une politique commune - les sites préhistoriques de la vallée de la Vézère, dans le Périgord, par exemple (mais aucune grotte ornée : l'Etat serait le seul à pouvoir garantir les moyens techniques nécessaires à leur protection). Il ne pouvait manquer d'exemples truculents où des monuments sont partagés entre plusieurs propriétaires. Dans ce cas, il faut procéder, comme le demandait autrefois André Siegfried pour l'agriculture bretonne, à des remembrements. Les tours de La Rochelle, que l'Etat conservait pour des raisons stratégiques, peuvent bien revenir à la ville qui possède tout le reste de la muraille : le danger ne devrait plus venir de la mer… A Provins, l'église Saint-Ayoul est actuellement coupée en deux : le chœur à la ville, l'abside à la nation. Quant à la motte castrale de Villars-les-Dombes dans l'Ain, le commentaire est explicite : «Vérifier propriété Etat».

Adieu Haut-Koenigsbourg, Jumièges, Silvacane ?
Les cas qui vont faire discuter sont nombreux : les abbayes de Jumièges, de Montmajour et de Silvacane, les châteaux de Chaumont, de Talcy, du Haut-Koenigsbourg pourraient être cédés - si, évidemment, une collectivité en était demandeuse, les transferts de propriété devant se faire sur la base du volontariat. Pour ces cas très alléchants, qui attirent de nombreux visiteurs, un problème de concurrence pourrait bien se poser. Quelle collectivité sera choisie, la solution de co-propriété étant exclue ? Et comment pourra-t-on continuer à exiger du Centre des monuments nationaux, qui les possède ou les gère, une politique de recherche de rentabilité si on lui enlève les joyaux de sa couronne ? Les avis tranchés qui vont s'exprimer ne nuiront certes pas au débat. Qui risque d'être alimenté par une autre initiative du ministre : Jean-Jacques Aillagon a demandé à René Rémond de «rempiler». Il s'agira cette fois de déterminer quels monuments locaux, en sens inverse, seraient mieux à leur place parmi les biens de l'Etat.


 Rafael Pic
19.11.2003