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Marché

Montaigne dans son premier vélin

Le clou de la vente de bibliophilie de Sotheby's est une première édition des Essais, dans sa reliure d'origine.


Essais, Bordeaux, simon
Millanges
, 1580, Édition
originale, est. : 150 000 /
200 000 €.
Michel de Montagne, Michiel di Montagna, Michaell de Montaigne : nos ancêtres avaient moins de scupules que nous à traduire les noms d'auteur… C'était aussi une façon de s'approprier leur œuvre. La vente dédiée à Montaigne contient un petit échantillon d'éditions étrangères. C'est peut-être là que l'on pourra faire les meilleures affaires : la version anglaise sortie en 1603 chez Edward Blount, due à Giovanni Florio (John Florio), un Florentin de confession protestante émigré à Londres, est estimée à 5 000 euros. Une édition italienne de 1590, par Giovanni Naselli (à Ferrare chez Benedetto Mamarello), est à 1 500 euros. Tous ces ouvrages ont été réunis par un fou de Montaigne, Francis Pottiée-Sperry, un chirurgien du Touquet, décédé en 2002, qui a obtenu l'insigne honneur de reposer au cimetière de Saint-Michel-de-Montaigne.


The Essayes or morall, Politike
and militarie discourses
.
Traduit du français vers l'anglais
par John Florio. Londres,
Valentine Sims pour Edward
Blount, 1603.
Estimation : 5 000 / 7 000 €
Quand Montaigne était trop lu…
Mais la pièce de résistance, c'est évidemment cet exemplaire des Essais dans l'édition originale de 1580. L'exceptionnel, c'est sa reliure d'époque, un vélin parfaitement conservé. Il n'en existe guère que trois ou quatre de ce type en mains privées et celui-ci est peut-être le mieux conservé de tous. Pourquoi en reste-t-il si peu ? «Les raisons sont très simples, explique Jean-Baptiste de Proyart, vice-président de Sotheby's France et spécialiste de la vente. Les Essais ont connu plusieurs éditions : 1580, 1588, 1595 puis celles, posthumes, de mademoiselle de Gournay. Les amateurs tendaient évidemment à préférer les plus complètes et les plus récentes, ce qui explique la disparition des précédentes. Par ailleurs, Montaigne était très lu au XVIIe siècle. Il est arrivé aux Essais ce qui arrivait aux livres de chasse ou de cuisine : une destruction par l'usage. Enfin, il faut signaler que les bibliophiles du XIX siècle, pour conserver leurs ouvrages, leur faisaient souvent des reliures luxueuses.»

150 000 euros… ou beaucoup plus
Les exemplaires en vélin d'origine sont par conséquent rarissimes. Avant 1916, les catalogues des libraires et des ventes n'en mentionnent que deux : le premier, dit de Thou, se trouve aujourd'hui au Musée du Petit Palais, le second dit Bearzi, du nom d'une vente de 1855, n'est plus identifiable. Dans le dernier demi-siècle, trois autres ont été signalés, chez les libraires Bérès, Quaritch et Rossignol. Ce sont donc quelques unités sur un «stock» global, pour cette première édition de 1580 chez le Bordelais Simon Millanges, ne devant pas dépasser, aujourd'hui, les quarante exemplaires dans le monde. Cet in-8° de 152 x 102 mm est estimé entre 150 000 et 200 000 euros. Une estimation que l'on suppose difficile à établir… «Pas du tout, estime Jean-Baptiste de Proyart. Un exemplaire similaire, mais en reliure moderne, est passé en vente en Allemagne il y a dix-huit mois. Il a été adjugé 125 000 euros.» Une surcote de 20% pour un vélin qui a traversé les siècles, n'est-ce pas trop modeste ? «Je pense personnellement que ce chiffre va être dépassé. Nous avons voulu organiser une vente de désir, sans prix de réserve, où l'on puisse se faire plaisir. Cela explique ces évaluations très contenues.»


 Charles Flours
27.11.2003