L'agriculture, ennemie de l'archéologie ?Un site anglais de première importance risque de connaître la charrue des producteurs de pommes de terre avant le scalpel des archéologues. Ce conflit souligne les dangers que l'agriculture intensive fait peser sur les sites anciens.
| Enclos du Néolithique dans des
champs intensivement labourés,
Rudstone (East Yorkshire)
© English Heritage |
WEST HESLERTON (YORKSHIRE). Les bienfaits de l'archéologie préventive ne sont plus à souligner. Si cette pratique conservatoire suscite la grogne des élus locaux et des entreprises de travaux publics, elle permet de sauvegarder des traces de notre passé. A côté des débats houleux qui ont lieu en France, la Grande-Bretagne connaît d'identiques bras de fer. Le dernier en date oppose English Heritage, l'agence gouvernementale chargée de la conservation du patrimoine, et les fermiers du Yorkshire à propos de plusieurs milliers d'hectares à West Heslerton, près de Marton, dans le nord du pays, où des recherches sont menées depuis une vingtaine d'années. Le conseil municipal ayant récemment voté la concession d'une exploitation minière, les archéologues ont analysé de près une fraction du site, la Vallée de Pickering, couvrant environ mille hectares. Leur campagne a été complétée par des relevés aériens, il y a un an, qui ont donné des résultats inattendus : là où l'on ne connaissait qu'un établissement datant de l'Age du Fer, on a découvert qu'il en existait en réalité neuf. Il faudrait du temps pour fouiller. Malheureusement, les agriculteurs sont pressés de labourer la terre. La toute voisine usine McCain attend leurs pommes de terre pour produire ses frites…
| Coupe en or de Woodnesborough
(Kent), Age du Bronze, partiellement
endommagée par une charrue
© British Museum |
La coupe en or et la charrue
«Le site est aussi important que Stonehenge a annoncé à la presse David Miles, directeur de l'archéologie à English Heritage. Les tombes, tumulus et maisons ont été ici largement épargnés par l'agriculture mécanisée qui a causé tant de dommages à nos autres sites archéologiques.» Cet épisode met en lumière un problème crucial : l'agriculture constitue aujourd'hui, dans les pays développés, la première menace pour les vestiges archéologiques. Le problème est si préoccupant qu'une campagne nationale a été lancée à l'été 2003 par English Heritage, «Ripping up History», pour encourager les agriculteurs à protéger les ressources du passé et pour inciter les pouvoirs publics à leur verser des aides significatives. Les statistiques sont parlantes. En Grande-Bretagne, trois mille sites considérés d'importance nationale sont encore couverts par les cultures. Depuis 1950, 320 000 hectares de prairies, ce qui représente quelque 14 000 sites archéologiques, ont été perdus et sont devenus des parcelles ensemencées. Enfin, on peut attrribuer aux engins agricoles - les tracteurs sont dix fois plus puissants qu'en 1950 et les socs s'enfoncent plus profondément - 10% des destructions d'objets et de vestiges. L'un des exemples emblématiques concerne la superbe coupe en or, vieille de 4000 ans, découverte à Ringlemere dans le Kent, et achetée par le British Museum. Elle a été définitivement mutilée par une charrue…
| Système de terrasses d'origine
celte en grande partie détruit
par les cultures, Burderop Down
(Wiltshire) © English Heritage /
NMR |
Hommes préhistoriques à la campagne
Pour souligner l'importance des découvertes de Pickering, David Miles a usé d'une parabole. «C'est comme si vous découvriez le Domesday Book et qu'il soit brûlé devant vos yeux avant que vous ayez eu le temps de l'ouvrir». Le site a abrité une occupation continue depuis la Préhistoire jusqu'au haut Moyen Age, en passant par l'époque romaine et les premiers établissements saxons, au Ve siècle. En juin 2003, on y a mis au jour une broche en bronze, datant de 650, portant quatre runes ou lettres saxonnes, N, E, I et M, qui pourraient constituer le plus ancien exemple d'écriture anglaise. Surtout, la densité de sites humains décelée par les photographies aériennes et par les dernières techniques magnétiques suppose que les schémas tout faits sur l'évolution et la distribution de la population sur les îles Britanniques seront à revoir. Loin d'être un désert, la campagne anglaise d'il y a mille ou deux mille ans semble avoir eu le même pouvoir d'attraction qu'aujourd'hui.
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