On a démasqué le photographe SimenonL'intarissable romancier a aussi produit une abondante œuvre photographique. Le Jeu de Paume en expose une sélection des années 1930.
| Boulogne, vers janvier-février
1932. Négatif original, Collection
Fonds Simenon, Université de
Liège © 2004, G.S.F.R. Ltd, tous
droits réservés. |
PARIS. Sur les immenses murs blancs du Jeu de Paume, on est d'abord attiré par de tout petits tirages contact. Ils s'alignent, par dizaines, sur des pages quadrillées. Ces feuilles perforées sont renforcées par des œillets, selon une vieille technique d'écolier, et conservées dans des carnets de toile. Simenon, méthodique, a ainsi archivé et numéroté tous ses clichés, se contentant de rares indications sur les lieux, en haut de page, ou, parfois, d'une formule lapidaire, «Manque pellicule». Toutes ces albums sont conservés à l'université de Liège. Les images qu'ils contiennent ont été rarement vues si l'on excepte une exposition au Musée de la photographie de Charleroi et les éditions complètes de ses œuvres, publiées chez Omnibus l'an dernier : la couverture de chacun des 25 volumes est illustré par une image de Simenon.
| Gênes, Italie. Croisière en
Méditerranée, à bord du voilier
l’Araldo], début juin 1934
Négatif original, Collection
Fonds Simenon, Université
de Liège © 2004, G.S.F.R.
Ltd, tous droits réservés. |
Un tour du monde
Simenon n'est pas un immense photographe mais sa production est attachante. Ses aficionados y retrouveront l'atmosphère de ses polars, comme dans ces vues tristes de Concarneau, d'Ouistreham ou de Boulogne, où se distinguent des gendarmes en képi et houppelande, des quais, un café de la Marine. La Maison du peuple de Charleroi, avec ses hommes à casquette et grosses moustaches qui sirotent un Dubonnet, ses pancartes Moules en casserole, sont efficaces. Mais le Simenon le plus réussi, c'est celui qui voyage loin. Entre 1932 et 1935, il effectue de longues traversées en bateau, dont un «tour du monde en 155 jours», et un périple à travers l'Afrique, du Caire à Stanleyville au Congo belge. Dans ses images du continent noir, il montre parfois un talent de composition qui s'apparente à celui de Pierre Verger (les jeunes filles portant leur bidon sur la tête, les hommes traversant un fleuve en bateau, un arbre isolé) avec de beaux jeux de diagonales et verticales. Quant à son séjour en Europe centrale, il produit les photographies les plus poignantes : son reportage sur les communautés juives de Vilnius, en 1933, fait immanquablement penser au «monde perdu» consigné par Roman Vishniac. Ces vieilles femmes dans leurs échoppes misérables, ces enfants que l'on aperçoit dernière une croisée de fenêtre embuée imaginent-ils l'horreur qui s'apprête à se déchaîner. Combien de ces collégiens rieurs reviendront-ils des camps ? Curieusement, c'est aussi avec l'approche de la guerre que Simenon ralentit son œuvre de photographe. Il délaisse son Leica, qu'il finira par perdre sur la banquette d'une voiture en Amérique…
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