Perret, c'est béton !Alors que l'on fête le cinquantenaire de sa mort et que Le Havre est candidat au patrimoine de l'Unesco, une exposition s'emploie à faire sortir Auguste Perret de son semi-purgatoire.
| Ateliers Esders (1919), av. Philippe-
Auguste, Paris XIe. Photographie,
mai 1919, cliché Chevojon.
© Ifa/Daf/Chan |
PARIS. Dans une exposition sur Auguste Perret, on n'attend qu'une chose : du béton. Force est de reconnaître que l'on est un peu désappointé, sous les hauts plafonds de l'ancien Musée des arts africains. Pas le moindre fragment du plus glorieux matériau du XXe siècle ! Pas même un échantillon de coffrage en bois ! Les pièces qui s'en approchent le plus sont les modules des claustras de l'église du Raincy mais il s'agit en fait de reconstitutions récentes. Une fois ce deuil fait, il faut reconnaître que le propos est passionnant et que l'on peut toujours compléter la visite de l'exposition par une promenade in situ : au Havre, à Amiens et, bien sûr, à Paris, du Conseil économique et social (ancien Musée des travaux publics) au Mobilier national, de la salle Cortot au théâtre des Champs-Elysées.
| Église Saint-Joseph, Le Havre
(Seine-Maritime), 1951-1954.
Vue intérieure de la tour et
perspective. Cliché anonyme.
© Ifa/Daf/Chan. |
Hold-up aux Champs-Elysées
Que voit-on donc dans cette ode à Perret ? D'abord des dessins du jeune prodige, comme celui du chalet familial sur la côte normande, dessiné par Auguste en 1890, alors qu'il n'a que seize ans. Ou encore des compositions réalisées à l'école des beaux-arts tel ce superbe porche d'une église du XIIIe siècle, qui montre que le futur apôtre des techniques modernes connaissait aussi ses classiques. L'activité frénétique qui s'ensuit, documentée par de nombreux plans, ne peut se comprendre que si l'on considère Auguste Perret non comme un brillant architecte mais comme l'exposant de pointe d'un clan familial, qui dessine, conçoit mais construit aussi par son bras «séculier», l'entreprise Perret. Celle-ci, spécialisée dans… le béton armé, tire profit de la fameuse circulaire de 1906, élargissant l'emploi de cette technique. Grâce à cette botte secrète, qu'ils emploient avec un grand talent, et à leurs accointances avec des artistes, les frères Perret réussissent à s'introduire dans les grands chantiers du moment : la cathédrale d'Oran, conçue par Ballu, qui menace de s'écrouler en cours de construction, ou le théâtre des Champs-Elysées, où poussés par Théo van Rysselberghe et Maurice Denis, ils réussissent à supplanter Bouvard et Van de Velde, les initiateurs du projet.
| Villa Élias Awad bey, Zamalek,
Le Caire (Égypte), 1930-1938.
Élévation sur le Nil, octobre 1931.
© Ifa/Daf/Chan. |
Un lorgnon en forme de symbole
Ce bâtiment, inauguré en 1911, les place durablement dans le panthéon de la profession. On peut en voir une maquette récente, d'une qualité irréprochable, au 1/33e. Comme les seize autres maquettes, commandées spécialement aux spécialistes du genre à Paris, Milan ou Genève, elles sont disposées au centre du parcours et permettent de mieux visualiser les idées-force d'Auguste Perret : l'importance de l'ossature, qui doit être vue, l'économie de moyens, le refus du pittoresque, du décoratif… et de la fenêtre en bandeau, qui sera l'un des chevaux de bataille de son ancien stagiaire, Le Corbusier. En deux grandes salles, avec l'appui d'un reportage photographique de Gilbert Fastenaekens, tous les pans de l'activité d'Auguste Perret sont abordés : les villas pour ses amis artistes (Braque, Cassandre, Chana Orloff), les bâtiments industriels, les lieux de culte, les projets non réalisés (Palais des soviets à Moscou, Société des nations à Genève, palais de Chaillot), et, évidemment, son grand œuvre, la reconstruction du Havre après la guerre. Mais l'on voit aussi le mobilier de son appartement de la rue Raynouard, retrouvé au Musée des arts décoratifs et récemment restauré. Et, pour ceux qui en ont une image intimidante, quelques objets touchants : ses aphorismes écrits d'une plume fine ou sa marionnette, réalisé non pour les Guignols mais pour une pièce de Prévert, L'Ecole des beaux-arts. Enfin, son lorgnon, acheté - on n'ose pas croire à une coïcidence innocente - chez l'opticien Lecœur domicilié… passage du Havre.
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