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Expositions

Du sexe des poupées

Les poupées ont excité l'imagination des créateurs du XXe siècle, dans une veine souvent érotique. Démonstration à la Halle Saint-Pierre.


Poupée du Sénégal, épi de maïs,
métal, bobo, kaba, Musée de
l'Homme.
PARIS. Il y a a priori loin de l'art brut ou art autre - spécialité de la Halle Saint-Pierre - au monde conventionnel des poupées, même si les personnages ficelés, tordus, torturés que Michel Nedjar met en scène plusieurs fois par jour dans son petit théâtre de la cruauté tiennent effectivement du premier. C'est qu'en réalité cet univers des poupées n'a rien de conventionnel. Au premier niveau de l'exposition, un large choix à travers le temps et l'espace montre la variété de ce simulacre très ancien (les tombes des Grecs et des Romains en ont livré des exemples). On voit l'habileté des civilisations rurales à utiliser les matières premières agricoles pour construire des objets économiques : épis de maïs au Sénégal (et feuilles de maïs en Hongrie), coques de fruits au Mozambique, plumes ou roseau au Pérou. On établit sans peine une distinction entre les figurines rigides, à vocation votive, magique ou rituelle (comme ces poupées de fertilité tanzaniennes en bois) et les créatures aux membres articulés, aux yeux de verre et aux cils mobiles que les petites filles occidentales ont pris l'habitude, depuis trois aux quatre siècles, de soigner avec amour. Parmi tous ces objets admirables, notamment de beaux pupi siciliens suspendus à leur fil, il en est un que l'on aurait absolument souhaité voir : cette mythique «poupée de la rue Saint-Honoré» que, depuis le XVIIe siècle, l'on envoyait tous les mois, dûment vêtue, dans les capitales européennes pour les informer des dernières tendances de la mode parisienne. La légende dit qu'au plus fort des guerres de Louis XIV avec l'Angleterre, une seule personne conservait un passeport valable pour traverser la ligne de front : la poupée de la rue Saint-Honoré…


Hans Bellmer, La Poupée, 1935,
photographie, coll. privée.
Bellmer désarticule
On regrette que les cartels soient parfois peu lisibles, dans une lumière chiche. Mais il s'agit d'un intéressant panorama de la poupée. Une fois que l'on s'est imbibé de ces rudiments historiques, on est mûr pour l'étage supérieur, celui où l'idéal de la poupée est interprété, perverti, tourné en dérision ou sexualisé. On pense bien sûr à Bellmer, avec ces membres - bras, jambes - qui s'emboîtent en tout sens et deviennent autant de phallus en puissance. Mais il y a aussi le Japonais Yotsuya Simon, qui produit des étranges personnages, mélange d'écorchés et d'automates. Ou ce mystérieux homme de Chicago, Morton Bartlett, qui cacha jusqu'à sa mort, en 1992, une quinzaine de poupées en plâtre peint, munies d'une riche garde-robe, qu'il avait lui-même cousue.


Olivier Rebufa, Le Bain, 1990,
tirage argentique, galerie Baudoin
Lebon
Barbie mon amour
On est frappé par les trois cents homuncules d'étoupe, enserrés chacun dans son cerneau de noix : une prouesse de Kazuyo Oshima qui fait penser aux chefs-d'œuvre du compagnonnage. Les Barbie nubiles de Billyboy et Lala, habillées par les grands couturiers, sont en position hégémonique et refoulent malheureusement sur une paroi secondaire les photographies d'Isadore Seltzer, des poupées blessées, bancales qu'il soigne avant de les envelopper dans des voiles vaporeux. La note d'humour finale est donnée par Olivier Rebufa. Il se met en scène, lui et sa Barbie. Il lui fait de l'œil sur un canapé, tente de la dévergonder en projetant un film pornographique, l'emmène faire un tour dans sa spider, entre dans les flots en la tenant par la main. C'est un couple d'amoureux comme il y en a tant. Ces images, commencées en 1990, anticipent la télé-réalité et ces héroïnes à la peau de pêche, aux yeux colorés en bleu par des lentilles, surgies du néant en quelques jours et toutes coulées dans un moule semblable. Après la télé-réalité, la poupée-réalité ? Pourquoi pas, se dit-on. Et les Barbie ne nous font plus rire du tout.


 Pierre de Sélène
31.01.2004