L'artiste au supermarché des imagesLe Palais de Tokyo montre comment les artistes contemporains détournent les icônes de la société de consommation.
| Jonathan Monk, The End, (en
collaboration avec Douglas
Gordon), 2000. Une version d’une
série de six projections. Projeté
en dimensions variables
(idéalement du sol au plafond)
Courtesy Jonathan Monk-
Yvon Lambert, Paris |
PARIS. Il y eut les créateurs, puis les copieurs. Il y eut l'œuvre originale puis vint le ready-made, dont Duchamp fut le grand-prêtre. Voilà que l'on doit maintenant compter avec une catégorie intermédiaire : celle des artistes qui se servent de toutes les productions passées et actuelles pour les refondre, les assembler en une œuvre nouvelle, la leur. Voilà le propos de l'exposition conçue par le commissaire, et co-directeur du Palais de Tokyo, Nicolas Bourriaud. Dans cette «navigation culturelle», comme il la baptise, ces artistes n'ont qu'à puiser dans un stock d'objets et d'images disponibles. Si l'on pousse la comparaison, c'est un peu le même principe qui régit nos achats au supermarché. Le choix des artistes est éclectique et cosmopolite avec, cependant, une prédominance de créateurs anglo-saxons. Le monde latin, France à part, semble exclu.
| Rémy Markovitsch, Bibliotherapy
meets Bouvard et Pécuchet
2001, Vidéo (extrait : Andrée Pinel) |
Une gommette de Saint-Adresse
Le titre de l'exposition, «Playlist», souligne la dimension ludique de ces œuvres. Et l'on est, il faut le dire, souvent amusé. Par les flashes obsédants de spots publicitaires, filmés en accéléré par Daniel Pflumm, qui se superposent de manière incongrue, sur une musique obsédante de night-club berlinois. Ou par les mini-logos en forme de gommettes de Pauline Fondevilla. L'artiste est née à Sainte-Adresse, une ville qui est elle aussi quasiment une marque déposée tant elle colle à la célèbre dictée de Mérimée. On suppose que cette provenance n'a pas joué dans le processus de sélection… Rémy Markowitsch photographie des lecteurs de Bouvard et Pécuchet et les confronte à d'interminables catalogues bibliographiques. Le livre reste-t-il oui ou non, dans nos sociétés, le premier instrument de transmission du savoir ? Pas si sûr si l'on interprète ces curieuses bibliothèques de Michael Clegg et Martin Guttmann : des boîtes un peu bancales qui semblent verrouillées à double tour derrière leur épais vitrage.
| Clegg & Guttmann, Die offene
Bibliothek, 1993. Vue de l’installation
à Hambourg, Allemagne. Coutesy
Galerie Christian Nagel, Berlin |
Lavier sans frigo
Comment cet ensemble est-il organisé dans ce Palais de Tokyo, qui se révèle souvent intimidant ? On pouvait craindre que ces créations conceptuelles négligent la composante monumentale qu'appellent ces trop hautes cimaises. Si l'on est loin de l'excellente occupation de l'espace dont avait fait preuve la précédente exposition, celle de Chen Zhen, le résultat n'est pas déplaisant. Grâce à quelques installations comme le «bazar» de Bjarne Melgaard, les arbres déracinés de Sam Durant (réélaboration d'une œuvre de Robert Smithson), les lignes de Dave Muller qui escaladent les murs ou, tout au fond, les posters colorés d'Allen Ruppersberg. Bertrand Lavier fait irradier ses néons bleus en forme de logo Renault tronqué (inspiré de Frank Stella). De ce bon praticien français de la citation, on cherche vainement l'œuvre emblématique que l'on attendait : le célèbre empilement d'un réfrigérateur sur un coffre-fort…
| Pierre de Sélène 13.02.2004 |
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