Primitifs made in FranceCent ans après une exposition historique, le Louvre revient sur les peintres français de la première Renaissance.
PARIS. Ouf ! On la voit, au fond de l'enfilade. Qui ? Evidemment, cette fameuse Pietà de Villeneuve-lès-Avignon, qui est pour beaucoup le symbole de l'école de peinture française du XVe siècle. A vrai dire, se déplacer pour la Pietà n'aurait guère de sens puisqu'elle est exposée en permanence au Louvre. L'exposition permet de découvrir des œuvres bien plus difficiles d'accés car éparpillées dans toute l'Europe. Et elle constitue une originale remise en cause de la grande rétrospective fondatrice de 1904, au pavillon de Marsan, qui avait vu naître - une naissance miraculeuse, comme de la cuisse de Jupiter - une colossale école française, entièrement formée et jusqu'alors méconnue, qui aurait précédé les Flamands et beaucoup d'Italiens…
| Jean Poyet, Noli me tangere,
120 x 92 cm, Eglise de Censeau,
détail (le christ) © J.F. Ryon.
Conservation et objets d'Art du
Jura. |
Extension du domaine de la France
Il faut donc prendre le temps de lire attentivement les cartels car cette affirmation patriotique, nationaliste - nous sommes, rappelons-le, en 1904, sur la pente savonneuse qui va mener au premier conflit mondial - est ici décortiquée et en grande partie remisée. Dommage que l'espace soit si compté : à voir la cohue du vernissage, on peut prévoir une affluence inattendue pour cette exposition, et donc des conditions de visite peu agréables. D'autant que la lumière ténue - conçue pour protéger ces panneaux délicats aux teintes étonnamment vives - oblige à des stations rapprochées, à des mouvements délicats des vertèbres du cou. C'est particulièrement le cas dans l'antichambre, où le concepteur de l'événement de 1904, Henri Bouchot (1849-1906), est quelque peu malmené. On y montre ses erreurs d'attribution, comme celles d'annexer à la France le catalan Martorell (avec ses quatre scènes de la Vie de saint Georges) ou d'inventer de toutes pièces des écoles régionales - de Lorraine ou d'Artois - dans lesquelles il range sans vergogne des grands maîtres flamands comme Robert Campin (alias le Maître de Flémalle). Une vitrine recueille des «memorabilia» de 1904 : un carton d'invitation en lettres gothiques pour le vernissage du 12 avril, un billet d'entrée (à n'utiliser qu'une fois), un catalogue illustré vendu au prix de… 2 francs.
| Barthélémy d'Eyck, L'annonciation d'Aix,
Aix-en-Provence, Eglise de La Madeleine |
L'Annonciation d'Aix au complet
Avant d'arriver à la Pietà - retrouvée par Prosper Mérimée et attribuée aujourd'hui à Enguerrand Quarton - les étapes sont peu nombreuses mais éclatantes. On fait connaissance avec Josse Lieferinxe et sa truculente série sur saint Sébastien, avec le Maître de Coëtivy, qui sort Lazare de son tombeau et, plus encore, avec Jean Poyer. Il s'agit là de la véritable renaissance d'un artiste tourangeau, grâce à la découverte en 2000 et 2002 de tableaux de sa main, dont un Repas chez Simon à Lons-le-Saunier. Marqué par l'influence de Mantegna - un aveu de formation à l'étranger qui en aurait coûté à Henri Bouchot - il joue de teintes pastels, dans les bleus et les roses, qui font étrangement penser à Puvis de Chavannes. Enfin, voici, sur la gauche, le Maître de l'Annonciation d'Aix (Barthélémy d'Eyck). La commissaire, Dominique Thiébault, est tout émue en le présentant. Car il n'y a pas seulement l'admirable panneau central de l'Annonciation, conservé à l'église de la Madeleine à Aix-en-Provence. Il y a aussi les volets gauche et droit, jamais réunis depuis 1929 (à Londres) et 1932 (à Paris). «Si vous voulez obtenir du Musée de Bruxelles le Prophète Jérémie, vous feriez bien de vous faire accompagner du président Chirac» lui avaient conseillé les conservateurs hollandais, qui ne pensaient pas le miracle possible mais qui s'étaient tout de même engagés à un prêt si Bruxelles faisait de même… Le miracle a eu lieu, sans même l'intercession du premier magistrat. La Vierge sous sa forêt de colonnes, et Gabriel se réjouissent d'être enfin au complet avec leurs amis prophètes, Jérémie et Isaïe. Jusqu'au petit fragment de nature morte, en haut à gauche, qui a fait le voyage. De quoi donner un moment de bonheur du spectacteur même s'il aura bien du mal à installer son pliant devant la scène…
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