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Réveillez la dormeuse de Naples !

Dans le sillage des thrillers artistiques qui constituent désormais un genre à part entière, Adrien Goetz met en scène Ingres, le faussement fade.

Tout le monde connaît l'indolente odalisque d'Ingres, à la hanche avantageuse, aux cuisses rondes, à l'impeccable nombril. Mais qui se souvient qu'elle a eu un temps une jumelle, aussi blonde que celle-ci est brune ? Adrien Goetz, bien sûr, en historien de l'art compétent et amateur de détails croustillants. Cette seconde odalisque a disparu en 1815 lorsque son propriétaire, Joachim Murat, le prince de Naples, a été déposé et exécuté sans atermoiements sur le sable dur de Calabre. L'histoire est authantique. Sur cette trame palpitante, l'auteur n'a qu'à mettre la vérité sur les bons rails. Il est persuadé que la Dormeuse n'a pas disparu.

Corot fait dans le spiritisme
Dans les vieux salons parisiens, il a trouvé trois témoins prêts à parler. Le premier n'est pas bien original : c'est Ingres lui-même, qui fait jouer ce qui lui reste de mémoire pour évoquer la petite roturière napolitaine qui lui a servi de modèle avant de mourir bêtement d'avoir bu une eau pas très pure (qu'il nous soit permis, en incise, de conseiller la lecture du saisissant chapitre sur l'épidémie de choléra à Naples dans le Livre de San Michele d'Axel Munthe). Le deuxième est le brave père Corot, que l'on imagine en besicles, chapeau de toile serré, peintre balzacien qui pond des paysages lumineux dans son sombre atelier. Ce Corot-là, auquel on donnerait le bon Dieu sans indulgences, en a vu de belles à Rome : il a participé à des messes noires devant une femme nue. Cette déshabillée, c'est bien sûr la Dormeuse. Après, Corot le bourgeois ne sait plus. C'est qu'un seul connaît la réponse : le ténébreux Géricault, qui était alors en Italie pour croquer les chevaux qui galopent sur la place Navone. Il la connaît si bien, cette Dormeuse, qu'il l'a peinte, comme Yves Klein peignait de peinture bleue ses modèles. Puis il l'a emportée dans la tombe. A moins que… Les jurés des Deux-Magots sont d'accord avec les conclusions de l'enquête : ils ont décerné leur prix 2004 à Adrien Goetz.


 Rafael Pic
06.03.2004