Paris au temps du roi fouGuerre de Cent Ans, crise économique : que pouvait-on bien créer à Paris au début du XVe siècle ? Une exposition au Louvre fait état d'un foisonnement inattendu.
| Goldeness Rossl, détail de sainte
Catherine, étrennes d'Isabeau de
Bavière à Charles VI en 1405,
émail sur ronde-bosse d'or
© Bayerisches Nationalmuseum |
PARIS. Le propos est annoncé d'emblée par la commissaire, Elisabeth Taburet-Delahaye : «Nous voulions lever les incompréhensions sur la période. Paris 1400, c'est, dans l'esprit des gens, la guerre de Cent Ans et la folie de Charles VI. Mais qui sait que dans le même temps, entre 1380 et 1422, la capitale comptait plus de 600 orfèvres ?» Ces chefs-d'œuvre d'orfèvrerie sont probablement les pièces les plus marquantes de la rétrospective. Beaucoup ont quitté la France depuis longtemps et leur réunion a supposé de patientes sollicitations auprès du trésor de la cathédrale de Burgos ou de celui d'Altötting en Bavière. Du premier provient une Vierge à l'Enfant en or, jais et ivoire. Du second l'extraordinaire Goldenes Rossl (Cheval d'or). Ce cadeau d'étrennes, donné au début de l'année 1405 par la reine Isabeau à son époux Charles VI, a servi plus tard à rembourser une dette substantielle… ce qui explique sa localisation actuelle. Il démontre la virtuosité des artisans d'art parisiens, capables d'émailler de minuscules figures en ronde-bosse sans faire fondre l'or dont elles étaient recouvertes.
| Maître de Boucicaut (Jacques
Coene ?) Réponses au roi
Charles VI et lamentation.
Enluminure sur parchemin
1409 Paris © BNF |
Des manuscrits au transi
Les manuscrits enluminés constituaient à l'époque le second domaine d'excellence des artisans parisiens. Et même si le duc de Bedford, le régent du roi d'Angleterre, a rapatrié outre-Manche certains volumes, les collections françaises sont très riches. La Bibliothèque nationale a prêté quelques-unes de ses plus belles pièces comme l'exemplaire de Charles V des Grandes Chroniques de France (1378-1380), le Livre de la chasse de Gaston Phébus, comte de Foix ou les Heures de Châtillon, réalisé autour de 1430 et qui a été acquis en 2001 après avoir été bloqué en douane. Des objets curieux émaillent le parcours : une maquette de la Bastille médiévale, taillée en 1790 dans une pierre de la forteresse, des chartes avec de superbes cachets de cire, un «transi» - représentation en cadavre du défunt (qui est ici Guillaume de Harcigny, le «psychiatre» de Charles VI) - ou un carnet de croquis de l'époque, qui montrent comment les artistes s'évertuaient à reproduire les mêmes modèles.
| Vierge à l'enfant, château de
Châteaudun, pierre.
© Paris, Centre des monuments
nationaux. Photo Pascal Lemaître |
La fugue après 1415
La tâche du scénographe Massimo Quendolo n'a pas été facile puisqu'il a dû marier des objets minuscules, habilement ciselés - bagues, camées, boîtes en ivoire - et des masses autrement plus imposantes, comme ces belles Vierge en marbre ou ces prophètes barbus. Si le premier pan du parcours est un peu ardu, on trouve après le virage une belle perspective, scandée par des sculptures, inondées de lumière, se détachant sur un fond sombre. Les tentures transparentes, qui reproduisent en très grand format les palais dessinés dans les Très Riches Heures du duc de Berry, rompent quelque peu l'harmonie bicolore entre le blanc du calcaire et le brun des cimaises. Mais elle se veulent évocatrices de la vie de cour à l'époque de ce gothique international. Un monde courtois qui pâlit évidemment après le désastre d'Azincourt en 1415 : Paris est occupé par les Anglais, les artistes quittent la capitale et se réfugient en province, où ils feront naître de nouvelles écoles comme celle de Troyes ou d'Amiens. Un éparpillement dont le Louvre ne veut donner que l'amorce : le reste pourra être étudié dans des expositions-sœurs qui se tiennent à Chantilly, Blois, Dijon et Bourges. De la décentralisation appliquée au royaume de France…
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