Achète FilipacchiLa vente de la bibliothèque surréaliste de Daniel Filipacchi, chez Christie's le 29 avril, pourrait susciter un engouement comparable aux enchères Breton de l'an passé.
| Marcel Duchamp, Marchand du sel
(1958),
reliure de Georges Leroux (1969).
Est. : 5 000 à 7 000 euros. |
PARIS. L'éditeur de Lui, de Paris-Match, de Jazz Hot s'acoquinant avec Breton et Max Ernst ? On flaire un bon coup médiatique, une façon d'investir intelligemment une fortune acquise avec le choc des photos. Il n'en est rien. La passion de Daniel Filipacchi pour le mouvement surréaliste ne date pas d'hier et elle n'est pas passagère. Elle accompagne l'éditeur depuis près de sept décennies. C'est avant la guerre, en 1939, qu'il dépense quelques économies à l'achat d'un livre dont le titre l'a interloqué : Le Revolver à cheveux blancs. Il suffit de peu pour déclencher une vocation. Celle-ci a bénéficié de la présence et des conseils de libraires avisés, dont ce Pierre Béarn de la rue Monsieur-le-Prince - un vrai titre d'écriture automatique - qui lui a alors cédé ce recueil. Les bons livres conservent : Pierre Béarn a aujourd'hui 102 ans.
| Lettres de guerre de Jacques Vaché,
avec un poème et une nouvelle, 1915-19,
reliure d'A.-J. Gonon.
Est. : 250 000 à 350 000 euros. |
Redécouvrir Vaché
D'autres pourvoyeurs ont été Jacques Matarasso, Pierre Bérès, Jean Petithory, le poète Georges Hugnet dont on voit dans le catalogue un Feu au cul bien nommé, réalisé avec Oscar Dominguez (15 000 euros). L'un des plus récents est le libraire Jean-Claude Vrain, qui est l'expert de la vente. Sur les 205 lots, il y a quantité de pièces exceptionnelles, premières éditions, lettres, gravures uniques qui feront saliver les musées et les amateurs argentés. La plus haute estimation (250 000 euros) aura droit à la dernière salve. Ce numéro 204, sous un cartonnage à la Bradel, est constitué de quatorze lettres de guerre de Jacques Vaché, adressées à André Breton, Théodore Fraenkel et Louis Aragon. Jacques Vaché, nantais, est l'un des piliers historiques du surréalisme même si le grand public n'a pas retenu son nom. Il s'est suicidé en 1919. Ubu roi sur papier Hollande, publié en 1896 au Mercure de France, est évalué à 150 000 euros. Ce qui peut paraître cher pour une édition originale l'est moins lorsque l'on sait qu'elle est accompagnée d'un «supplément» exceptionnel : la seule peinture du père Ubu que l'on connaisse de la main d'Alfred Jarry, réalisée dans ses années adolescentes. Le personnage sombre, à la bouche amère, s'appelait alors «Monsieur Hébert, Prophaiseur de Pfuisic».
| Dictionnaire Eros de l'Exposition
inteRnatiOnale du Surréalisme
(1959-1960), reliure de
Monique Mathieu, 1984.
Est. : 40 000 à 60 000 euros. |
Puissance de la reliure
Cette collection - une partie seulement du fonds Filipacchi - n'est pas seulement une ode à la littérature avec beaucoup d'Eluard (Facile avec tirages originaux de Man Ray, à 100 000 euros), la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France de Blaise Cendrars dans la pochette peinte par Sonia Delaunay (180 000 euros). C'est aussi un hommage aux maîtres relieurs Paul Bonet, Pierre-Lucien Martin ou Rose Adler, qui réalisent de véritables chefs-d'œuvre. Et pas seulement dans les années vingt et trente auxquelles on limite trop souvent le «bon» surréalisme. Le manuscrit autographe du dictionnaire Eros de l'Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme (1959-1960) a été réalisé en 1984 par Monique Mathieu avec des appeaux de chasse et des sonnettes métalliques, de petit carreaux de lézard rouge, des gardes d'agneau en velours roux. A 40 000 euros, nos amis anglais diraient que c'est une occasion, un bargain, à ne pas manquer.
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