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Expositions

Villon, l'autre Duchamp

L'exposition annuelle de la galerie Schmit est consacrée à Jacques Villon, le frère de Marcel Duchamp, passé par le prisme du cubisme et du nombre d'or.


Jacques Villon, Portrait de
Marcel Duchamp
, huile
sur toile, 60x48.5 cm, 1913,
Anc. Collection John Quinn,
© Galerie Schmit
PARIS. La galerie Schmit, qui a quitté il y a une cinquantaine d'années le quartier du meuble, le faubourg Saint-Antoine, pour s'installer dans une rue autrement plus chic (Saint-Honoré), n'est pas connue du grand public. Mais ses rares expositions monographiques sont suivies de près par les spécialistes. La dernière en date est consacrée à Jacques Villon (1875-1963) qui, comme son nom ne l'indique pas, est le frère aîné de Marcel Duchamp. C'est pour ne pas faire de peine à son notaire de père qu'Auguste Duchamp se choisit ce pseudonyme, inspiré du poète maudit (Villon) et d'un roman, aujourd'hui bien oublié, d'Alphonse Daudet (Jack). «Cela fait bien longtemps que Villon n'a pas eu l'exposition qu'il mérite dans une grande institution» bougonne Schmit senior, le gardien du temple, qui s'est senti le devoir de pallier ce manque. Avec un certain succès : en termes numériques, l'accrochage des Schmit ne se situe pas loin des rétrospectives historiques de la Kunsthaus de Zurich (1953), du Grand Palais (1975) ou de l'Art Institute de Chicago (1976).

Cousin de Feininger
Sont en effet présentées, dans les trois salles, quelque 120 œuvres, dessins ou tableaux. Les gravures, qui constituent probablement la partie de son œuvre la plus fréquemment montrée, sont ici absentes. La pièce la plus chère est marquée au sceau du cubisme : c'est un portrait de son frère Marcel, réalisé en 1913, l'année du célèbre Armory Show new-yorkais auquel ils participèrent tous deux. Cet ovale aux teintes brunes, dans lequel s'intersectent des diagonales et des triangles, dépasse 1,5 million €. Malgré cet exemple, la cote de Villon n'a pas connu d'inflation démesurée. Ses dessins se négocient à des prix très raisonnables, à quelques milliers d'euros. Grâce à l'appui de collectionneurs et, en premier lieu, de la galerie Louis Carré, le marchand de Villon à partir de 1944, le panorama proposé est vaste. A l'exception de l'expérience d'affichiste, de caricaturiste de presse de la fin du XIXe siècle, il couvre toutes les périodes successives : le cubisme et la Section d'or (du nom d'un groupe actif jusqu'en 1925, qui réunissait Villon, de La Fresnaye, Gleizes, Delaunay, etc), les obsessions chromatiques des années 1930, la composition en quadrillage des années 1940, qui se rapprochent des recherches de Feininger ou les portraits «figuratifs» qu'il n'a cessé de produire : lui-même, ses amis peintres ou quelques bustes féminins, des beautés de chez nous. Certes, Villon n'a pas l'audience qu'il mérite. Mais la bibliographie du catalogue, immobilisée au début des années 1960, noircit trop le tableau. Villon n'est pas encore oublié.


 Pierre de Sélène
12.05.2004