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Expositions

Dernières nouvelles du travail

Avec l'opération «Beffrois de la culture», de petites villes sans musées accueillent des expositions thématiques. A Aniche, le monde du travail est disséqué.


Fernand Léger, Les Constructeurs,
© Musée de Biot
Dans le cadre des nombreuses manifestations autour de «Lille 2004», la région Nord-Pas-de-Calais, grâce à l’initiative de ses conservateurs de musées et à la collaboration de la Direction des Musées de France, essaime dans les petites villes. Après «Autour de Rodin» à Liévin, «Autour de Corot» à Saint-Pol-sur-Ternoise ou encore «Autour de Chagall» à Orchies, Aniche ouvre les portes de sa mairie (de la salle des mariages, plus précisément) à Fernand Léger, sur le thème des hommes au travail.
Installées autour des vitraux colorés qui présentent des souffleurs de verre s’appliquant à leur tâche (un des fleurons du savoir-faire de la région, souvent ignoré), une dizaine de toiles s’offrent aux regards des curieux. Le clou de l’exposition, Les Constructeurs par Fernand Léger, se détache à la fois par ses dimensions (300 x 200 cm) et ses coloris primaires, le style « tubiste », comme Picasso l’avait baptisé. Datant de 1950, cette œuvre tardive est représentative de la France en pleine recontruction. Léger, membre depuis peu du Parti communiste français, fut frappé par une scène, un jour qu’il se rendait à son atelier. Il croisa des ouvriers, grimpés sur la structure métallique de pylônes à haute tension en construction. Il n’eut alors de cesse de vouloir rendre sur la toile le contraste entre ces hommes qui lui paraissaient minuscules et l’aspect massif, rigide, hostile (selon ses propres termes) de l’œuvre en chantier. Il y parvint après plus de dix études et esquisses différentes.

Trieurs contre trieuses
Les toiles exposées offrent une vue globale de l’évolution du monde du travail dans la région, du milieu du XIXe siècle à ces Constructeurs des années 1950. Le Tonnelier de Constant Dutilleux (prêt du musée d’Arras), réalisé vers 1850, est tout empreint de la peinture flamande, dans le traitement des étoffes, des matières, les nombreuses couches de glacis ; le pot de terre vernissée posé au sol, près du tonneau que s’affaire à cercler le tonnelier, lui donne des allures de Teniers et de Chardin à la fois. Moins poétique, plus cru déjà, Le Mineur de Constantin Meunier affiche un visage harassé, coiffé de la barrette (chapeau de cuir bouilli censé protéger les mineurs), lampe encore en main. C'est sans doute l'une des premières occurrences, en cette fin du XIXe siècle, d’un portrait d’ouvrier qui n’est ni une scène d’intérieur (il n’y a pas de décor dans le fond, une préparation de couleur blanc cassé est simplement brossée sur la toile) ni une figuration de groupe. L’œuvre suivante nous propulse à la veille de la Première Guerre mondiale ; il s’agit d’une Scène de triage de la laine à Roubaix par Gueldry. On quitte le monde de la mine pour une incursion dans celui de l’industrie textile roubaisienne, avec une composition qui évoque une photographie, une perspective très profonde, traversant l’atelier, les visages des trieuses tournés avec curiosité vers le peintre. Le tableau a été réalisé peu de temps après une grève des trieurs qui manifestaient contre… l’arrivée des femmes dans le métier !

Un programme jusqu'à Noël
Deux oeuvres de Marcel Gromaire, la première aux personnages lourdement cernés de noir, aux formes solides, représente des paysans affairés à divers Travaux de la terre en 1932 ; la seconde, toujours en extérieur, datée de 1936, d’influence très Art déco, beaucoup moins rugueuse, Les Loisirs, lui fut commandée pour orner la façade du pavillon de la Manufacture Nationale de Sèvres, construit à l’occasion de l’Exposition internationale de 1937. L'exposition se clôt sur Les juges, le pays des mines d’André Fougeron. Sur un fond noir se détachent quatre personnages, trois hommes et une femme, tous mettant en évidence, sur une table entre eux-mêmes et le spectateur, leurs membres mutilés. A la fois témoins et juges, ces personnages accusent les responsables de leur condition, tout en dénonçant l’aspect inhumain du travail à la mine. Réalisée en 1950 à la demande de la Fédération des mineurs de la région Nord-Pas-de-Calais, l’œuvre est conservée au Musée national d’art moderne de Paris. Les deux commissaires de l’exposition, Danièle Bloch et Marie-Laure Griffaton, conservatrice du Musée portuaire de Dunkerque, se félicitent du succès de l’événement dans la petite ville d’Aniche. Une entrée gratuite et une équipe d’animation sachant «accrocher» l’attention des scolaires en visite comme des adultes curieux ou parfois récalcitrants sont venus à bout de bien des réticences : la plus belle des victoire pour les orgnisatrices, qui se réjouissent de voir ces visiteurs ravis et surpris, et fort tentés de se rendre aux prochaines expositions de ce type dans la région : jusqu'à la fin de l'année, on en compte une par mois dans le cadre des «Beffrois de la culture».


 Elodie Palasse
24.05.2004