Portrait du grand veneur en mécèneTrois expositions à Paris, Senlis et Chantilly montrent que la chasse à courre a été à l’origine de grandes commandes artistiques.
| LG Jadin, Hallali du cerf aux étangs de
Commelles, Chantilly, Musée
Condé © André Pelle / musée Condé |
Ce panorama de la chasse à courre est complet. Il se déploie en trois lieux, le Musée Condé à Chantilly, le Musée de la Vénerie à Senlis et le Musée de la Chasse et de la Nature, à Paris, où l'on découvre une nouvelle acquisition : le décor de la salle à manger du duc d’Orléans au pavillon de Marsan, réalisé par le peintre Louis-Godefroy Jadin. La vénerie, chasse traditionnelle menée par les chiens, a été abondamment pratiquée par les propriétaires du château de Chantilly, qu'il s'agisse des princes de Condé ou des princes d’Orléans. La réputation de ce domaine était sans égale puisque Le Nôtre y avait aménagé des allées spécialement pour la chasse à courre. Louis XIV et Louis XV les ont empruntées. Au Musée Condé, les appartements du prince abritent La Grande Singerie (1737) de Christophe Huet, connu pour ses peintures décoratives et son goût pour les chinoiseries. Des tableaux du célèbre peintre animalier Jean-Baptiste Oudry, qui a récemment fait l’objet d’une exposition à Versailles et à Fontainebleau, ornaient la salle des gardes du château et sont aujourd’hui présentés dans l’antichambre. Sur des plans d’époque, on voit les Grandes Ecuries construites par Jean Aubert, entre 1719 et 1735, qui pouvaient accueillir jusqu’à 240 chevaux. Des gazettes comme le «Mercure Galant» témoignent des évènements spectaculaires et des réceptions lors de ces chasses. On entre dans le XIXe siècle avec la figure du duc d’Aumale. La galerie des Cerfs présente un décor entièrement consacré à la vénerie. On note un remarquable Surtout des chasses composé de douze pièces, ornant la longue table de réception. Offert par le roi Louis-Philippe pour le mariage de son fils, le duc d’Aumale, ce surtout en biscuit de Sèvres d’après J-B Oudry, était exposé pour les grandes occasions comme l’ouverture de la chasse, le 3 novembre, fête de la Saint-Hubert. Le parcours s’achève par une effigie en bronze du dernier «grand veneur» de Chantilly : le duc d’Aumale, réalisée par Jacques-Charles Froment-Meurice, et par un grand vase des Chasses historiques de la cour de France de Brongniart et Develly (1842-44). Louis-Philippe avait aboli la vénerie royale, trop liée à l’Ancien Régime. Mais ses fils, les princes d’Orléans, choisirent de perpétuer cette tradition.
La vénerie, «devoir aristocratique»
De l’autre côté de la forêt, à Senlis, se trouve le Musée de la vénerie au prieuré Saint-Maurice. Il souhaite s'ouvrir à un plus large public après deux années de restauration et de modernisation. Les 250 pièces, issues des collections et de prêts, présentent à la fois des œuvres d’art (tableaux, objets décoratifs) sur le thème de la chasse et des accessoires, costumes, ou archives témoignant de l’atmosphère fastueuse qui encadrait cette pratique. Celle-ci constituait selon Pierre Messmer, Chancelier de l’Institut de France, «l’occupation aristocratique par excellence, voire un devoir aristocratique». Pour Guy de Laporte, président des Amis du Musée de la Vénerie, qui a dirigé la mission scientifique des travaux, la vénerie est une «pratique civilisatrice» qui marque le paysage, les mœurs, le langage et, par ce biais, reste vivante. Le parcours historique de l’exposition s’étend de 1659 à 1910. Il débute à la fin de la disgrâce du Grand Condé qui réaménage Chantilly et constitue un équipage d’hommes, de chiens et de chevaux réunis pour la chasse à courre. L'exposition réhabilite deux grands peintres de chasse du XVIIIe siècle : François Desportes et Jean-François Perdrix. Les œuvres de Desportes comme Hallali de cerf, illustrant le moment précédant la mort de ce gibier royal par excellence, donnent un nouveau souffle à ce genre pictural. Héritier de la grande peinture flamande, Desportes associe la violence des représentations animalières à la beauté des paysages. Ses œuvres figurent parmi les plus grands tableaux décoratifs de l’époque. Perdrix adopte une démarche plus sociologique. Ses tableaux témoignent des assemblées d’aristocrates bien identifiés, assistant à la chasse à courre. Quelques décennies plus tard - des photographies de l’exposition le prouvent - les personnes du peuple suivent aussi la chasse à courre. Cette nouvelle clientèle permettra à la tradition de survivre. D’ailleurs, les objets présentés au Musée de la Vénerie revêtent une dimension plus actuelle, qui rend cette pratique plus vivante. Le décor reprend celui des demeures de veneurs peuplées de trophées et de «massacres». C’est l’occasion de découvrir ce musée créé pour préserver cette tradition ancestrale menacée, les grands équipages de vénerie ayant tous disparu lors de la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, la pratique semble connaître un regain d’intérêt avec près de 450 équipages encore actifs et 10 000 membres réunis en associations. La peinture de chasse à courre est toujours pratiquée, le plus souvent par des amateurs. Cette exposition s’inscrit dans cette évolution, mais il lui manque justement un regard contemporain sur la vénerie pour montrer que cette tradition princière est toujours vivace.
L'heure de la curée
Au Musée de la Chasse et de la Nature sont présentées, en exclusivité après trois ans de restauration, quatre toiles de L-G Jadin ré-encadrées. Elles constituaient une partie du décor de la salle à manger du duc d’Orléans, au pavillon de Marsan, sur la rue de Rivoli. Ce décor, pour la première fois entièrement consacré à la chasse, lancera une mode,illustrée, par exemple dans la salle à manger des appartements de Napoléon III au Louvre. L-G Jadin, peintre de chasse admiré en son temps, entre autres par Baudelaire et Monet, évoque dans La Curée le cérémonial au cours duquel les entrailles de l’animal sont offertes à la meute. La puissance de la scène dy épasse l’aspect mineur et décoratif du genre pictural de la chasse.
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