Sarkis, l'homme-lumièreAu château des Adhémar, Sarkis invite à un voyage onirique où la lumière s’empare de l’espace.
| Vue de l'exposition "paysage", écuries
Saint-Hugues, Cluny,
1994 (photo : Sarkis) |
CHATEAU DES ADHEMAR (Drôme). Le château-fort du XIe siècle est, depuis l’an 2000, un centre d’art contemporain où les artistes mettent en scène l’histoire de ce lieu lors de leurs interventions. L’invitation faite à Sarkis, cet été, apparaît tout à fait appropriée, car ses installations s’inspirent toujours du lieu d’exposition. Grande figure de l’art contemporain depuis une vingtaine d’années, et très actif sur la scène internationale, il signe des créations aussi diverses que la sculpture, l’aquarelle, la photographie ou les films, toutes révélatrices d’un travail sur l’espace-lumière. Pour cette occasion, dans un parcours théâtralisé, il soulève les questions de mémoire et de conservation du lieu. A l’entrée de l’exposition, le visiteur est confronté à un chantier en cours. Des échafaudages peints en jaune fluo, symbole du présent, permettent d’évaluer le temps parcouru depuis le XIe siècle. Avec l’aide de ses deux «anges» restauratrices, il a appliqué, autour d’un fragment de fresque médiévale qui a survécu, du papier japon blanc, marouflé sur le mur. La douceur du toucher se matérialise par des empreintes de doigts jaunes et orange, effleurant le papier et donnant l’impression de taches lumineuses. Il souhaite, par ce biais, remettre en question la restauration du lieu en appliquant des «pansements» sur un «mur malade» selon ses propos. Ils sont disséminés partout dans l’exposition. Dans cette même salle, il travaille la lumière comme matériau, utilisant des sources artificielles : le jaune fluo des échafaudages, les néons en cristal formant l’inscription lumière du jour. Cette dernière réapparaît à travers des puits de lumière. L’un d’eux est recouvert de papier japon pour créer un effet de neige, en contraste avec la saison de l’exposition. Un néon indique au-dessus Il neige dehors, coupant le spectateur du monde réel.
| Vue de l'atelier, Villejuif, 2004
(photo : Sarkis) |
Empreintes de doigts et bruits d'eau
On retrouve les échafaudages et ce travail sur la lumière au niveau supérieur où le visiteur pénètre dans le lieu de travail de l’artiste laissé en attente, au sein d’une atmosphère intimiste. Une table cruciforme présente des tas d’aquarelles réalisées par Sarkis sur place, dans cet atelier recréé. Chaque pile faisant face à une fenêtre, on voit les différentes étapes de ses recherches où il essaie d’attraper la lumière, faisant varier l’intensité de l’aquarelle et l’espacement des touches. La boîte d’aquarelles laissée sur la table, l’eau coulant en permanence dans une gouttière de cuivre donnent l’impression qu’il pourrait revenir à tout moment travailler. Le bruit de cette eau circulant, au débit précisément calculé, nous plonge dans une atmosphère de méditation, propre à l’atelier, rappelant aussi, comme le précise Sarkis, le lieu de fabrication du papier japon, support de ses aquarelles. La loggia supérieure apparaît comme un «souffle» selon Sarkis dans cette ascension, où la lumière «devient espace». Il reprend son travail des vitraux qu’il a effectué à l’abbaye de Silvacane en 2001, où les empreintes de ses doigts colorés de peinture recouvraient le verre d’un côté tandis que de l’autre côté, la même opération était réalisée par une autre personne. Au château des Adhémar, ce sont des personnes impliquées dans l’exposition qui ont coloré ces vitraux de jaune, orange avec leurs doigts. La lumière passant à travers, cela crée des ombres différentes selon les heures de la journée qui modifient l’espace. Sarkis indique que ces empreintes, effaçables à l’eau, pourraient être réactivées lors de l’exposition. C’est donc un travail sur le temps où l’œuvre évolue par l’intervention de l’artiste et par les changements de lumière. Ce parcours, sans lien narratif, nous invite à percevoir l’espace qui se transforme en un univers poétique, méditatif, magnifiant ce lieu d’histoire et de mémoire. Tous nos sens sont sollicités avec la lumière, le bruit de l’eau et l’aspect brut des tables en bois de l’atelier et de la loggia, évoquant le toucher comme les empreintes de doigts ponctuant l’espace. Cette installation à la fois discrète et imposante fait référence à «cette distance entre l’apparence immuable du monument et le côté malléable et fragile des valeurs qu’il transporte», selon Christian Bernard, directeur du MAMCO de Genève, musée où l’artiste fait évoluer son travail dans une salle-atelier qui lui est consacrée depuis une dizaine d’années. Plus que jamais, les œuvres de Sarkis se présentent comme des «partitions» à réinterpréter.
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