Dans l’ombre de GaudiLa grande exposition Paris-Barcelone vient de s’achever au Grand Palais. Un ouvrage permet de se replonger dans la luxuriance du modernisme catalan.
Barcelone ? C’est comme un cliché : Gaudi, Gaudi, Gaudi… Jusqu’à l’overdose surtout en cette année, qui marque le 150e anniversaire de sa naissance. L’architecte illuminé, bougon, mysogyne et mystique, mort sous un tramway, est devenu le principal ambassadeur médiatique de sa ville avec le club de football du Barça et l’opéra du Liceu. Son ombre porte trop loin et cache tous ses collègues du modernisme, ce mouvement qui secoua la capitale catalane à la fin du 19e siècle. C’était l’époque où un urbaniste visionnaire, Ildefonso Cerda, dessinait une extension au centre, devenu trop congestionné, trop gothique, trop populaire. Les nouveaux quartiers de l’Ensanche, un quadrillage précis tranché par l’avenue Diagonal, devaient accueillir les bourgeois aisés à la recherche du confort moderne. Les blocs d’immeubles, ou manzanas y avaient, comme ceux du Paris haussmannien, les caractéristiques pans coupés aux carrefours.
Ce grand chantier de rénovation urbain, qui culmina avec l’Exposition universelle de 1888, a donné à Gaudi et à ses pairs l’occasion d’innombrables commandes. L’épais volume, rédigé par des spécialistes, ne se limite pas au corpus gaudien. La divinité tutélaire est abondamment explicitée avec le Park et la Colonia Guell, voulues par un grand industriel textile, la casa Milà, la casa Battlo ou le couvent des Thérésiennes. Mais sa présence n’écrase pas l’importante colonie qui l’accompagne : Domenech i Montaner (hôpital de Sant Pau ; Palais de la Musique, récemment restauré sous la direction d’Oscar Tusquets ; maison d’édition Montaner i Simon, devenue le siège de la fondation Tapies), Puig i Cadafalch (casa Amattler), Jujol (casa Negre, céramiques du park Guell), Martinell i Brunet, Rubio i Bellver et tant d’autres, qui opèreront dans toute l’Espagne.
L’intérêt de l’ouvrage est de montrer que le modernisme catalan, comme l’Arts and Crafts deWilliam Morris et davantage que l’Art nouveau français, entendait embrasser l’art dans tous ses domaines et lui forger un lien, jusqu’alors manquant, avec le monde industriel. Derrière l’architecture, sont donc abordés la sculpture (le monument au docteur Robert par Llimona), le mobilier (avec d’intéressantes photographies anciennes montrant l’ameublement de l’époque), la peinture (Ramon Casas, Santiago Rusiñol, Isidre Nonell), la publicité (pour les chocolats Juncosa, les draps Dalmau Tolra, l‘anis del Mono, les cycles Cosmopolis), la musique, la littérature (Roviralta et Alexandre de Riquer)… Le contexte socio-historique, avec l’industrialisation accélérée des vallées catalanes, la montée de l’anarchisme et la sanglante Semaine tragique de juin 1909, apparaît habilement en filigrane. Et la cathédrale de la Sagrada Familia, direz-vous ? On y travaille encore…
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