La photo racontée par la photoDe Niépce à William Klein, de Tabard à Helmut Newton, l’auteur présente le choc des images. Sans le poids des mots…
Christian Bouqueret est un critique connu pour ses livres très documentés, qui explorent systématiquement la production de l’entre-deux-guerres, notamment la Nouvelle Vision (Femmes photographes des années 30 en France, Laure Albin-Guillot, etc). On ne s’attendait donc pas à le retrouver derrière le postulat un brin provocateur du présent ouvrage… Postulat que l’on peut d’ailleurs trouver contestable et qui s’énonce ainsi : il existe de très nombreuses histoires de la photographie, dont certaines sont des monuments de science, mais aucune qui laisse véritablement parler les images.
L’auteur réduit donc les commentaires au strict minimum, intercalant à intervalles réguliers une double page sur fond jaune vif, qui affiche un efficace résumé d’une période ou d’une tendance. Pour le reste, la parole est aux clichés : environ 300, qui racontent davantage que l’histoire de la photographie : l’histoire tout court… Son caractère d’instantanéité a fait de la photographie le greffier idéal de l’événement. Certes, au début, les temps de pose sur plaque limitaient sa capacité à saisir l’instant décisif cher à Cartier-Bresson. Mais les vues de cadavres de la guerre de Sécession (par Timothy O’Sullivan, 1863) ont la même puissance d’évocation que les damnés brésiliens de la Serra Pelada, postérieurs de plus d’un siècle (Salgado, 1986). De la toute première image, due à Nicéphore Niépce – Point de vue pris d’une fenêtre du Gras à Saint-Loup-de-Varennes – redécouverte en 1952, aux monstres de Witkin et Fontcuberta, on suit un itinéraire qui hésite en permanence entre la fidélité au réel et son interprétation. A un Delacroix, qui s’extasie devant l’exactitude anatomique d’un cliché de nu, répondent les pictorialistes qui recomposent le vaporeux de l’impressionnisme (Reflet de Notre-Dame par Otthofer…
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la photographie documentaire s’impose dès les origines. Que l’on pense à l’extraordinaire mission héliographique sur les monuments de la France, menée en 1851 par Bayard, Baldus, Le Secq, Gray et Mestral. La Farm Security Administration, dans l’Amérique de la crise, la Datar dans la France du miracle économique, ou, plus récemment, l’Agence Patrimoine Antique en Provence, ne feront que rééditer ce type de commande. Dès 1859, avec un éclairage au magnésium, Nadar fait le portrait du Paris souterrain. Et que font les Becher dans les années 1980 par rapport à Marville en 1871 ? Mêmes cadrages frontaux, même refus de l’anecdotique, même souci du piqué - avec un avantage à Marville sur ce dernier point… Le documentaire ne pourra devenir véritable reportage humain qu’avec la diminution des temps de pose et le passage de la plaque à la pellicule. La mise au point du Leica, en 1925, marque une étape fondamentale. Comment, sinon, figer à la seconde de sa mort le soldat républicain ? L’image de Capa devient une icône : par le biais des magazines, Life, Match ou Réalités, la photo entre dans tous les foyers. Il ne s’agit ensuite que d’asseoir sa domination : la mode, les mouvements sociaux, la vie des riches et célèbres…
L’idée de Bouqueret est excellente. Elle a d’ailleurs été déjà utilisée pour la peinture, comme le rappellent les mentions légales du début, qui rendent un hommage honnête à Adam Biro et à son Histoire de l’art en images. Excellente car elle pose une vraie question : sait-on encore regarder ? Non, très certainement. Et l’on se prend à regretter que Bouqueret ne soit pas allé plus loin en regroupant tous les textes à la fin pour nous laisser seuls avec les images. Vraiment seuls.
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