| Kurt Schwitters, Sans titre, 1947, collage sur papier, Fondation Kurt et Ernst Schwitters, Hanovre |
Kurt Schwitters, les collages de l'exilLe maître dadaïste, à l'existence errante, reçoit un hommage original à Milan.
Cette exposition ne présente aucune des œuvres importantes de Kurt Schwitters. En revanche, elle a le mérite de mettre en évidence le parcours très singulier de cet artiste originaire de Hanovre qui, après avoir fait ses études à l'Académie des Beaux-Arts de Dresde, expose pour la première fois dans sa ville natale en 1911. En 1915, il se marie et, deux ans plus tard, il est appelé sous les armes. C'est au cours de cette année qu'il commence à s'intéresser aux manifestations esthétiques d'avant-garde comme le cubisme et l'expressionnisme. Mais c'est en 1918 qu'il se lie à des figures importantes comme Jean Arp, Hannah Höch et Raoul Haussmann quand il expose à la galerie Der Sturm à Berlin. A partir de ce moment, son destin est définitivement lié à celui du groupe Dada. Son style hésite encore entre différents courants, balance toujours entre figuration et abstraction.
Schwitters se cherche jusqu'en 1920, quand la technique du collage avec divers matériaux lui donne un mode d'expression sur mesure, qu'il exploite avec talent. Une composition comme Das Kegebild (1921) prouve qu'il a assimilé de manière originale les formes nouvelles du langage artistique tout en y imprimant sa marque indélébile. Il écrit des poèmes (comme Anna Blum, 1920 ou la célèbre Ursonate, achevée en 1925), publie en 1923 une revue baptisée «Merz», du titre d'une sculpture commencée en 1920, qui sera au départ d'une expérience qu'il va poursuivre pendant de nombreuses années.
Schwitters, comme le montrent les œuvres exposées, ne renie jamais son inspiration dadaïste. Mais il ne se laisse jamais enfermer dans une formule, même si les collages de toute sorte dominent son activité créative. Il n'est pas insensible au constructivisme et un modèle de sculpture de 1923 le fait valoir avec éclat. L'influence de l'abstraction néoplastique est aussi présente, par exemple dans Cicéron (1926). En somme, il ne cesse jamais d'enrichir le curieux champ de son exploration sans pourtant dévier de sa perspective théorique. Quoi qu'il en soit, l'œuvre maîtresse de Schwitters est sans conteste son extraordinaire et onirique Merzbau, dont la première version a été conçue à Hanovre entre 1923 et 1937. Détruite pendant les bombardements anglais de 1943, elle a été reconstituée en 1983 au sein du musée Sprengel de sa ville natale. Il s'agit d'une « œuvre totale », à la fois sculpture et architecture, peinture en volume et habitation utopique, qui offre au visiteur une multitude de points de vue impromptus. En 1937, le nazisme le contraint à prendre le chemin de l'exil et il s'installe en Norvège. Près d'Oslo, il commence un second Merzbau (Haus am Bakken) sur une petite île, qu'il achève en 1940. Après avoir été interné, il peut rejoindre la Grande-Bretagne. En 1945, il emménage en Écosse, où il entreprend son troisième et dernier Merzbau, appelé Merzbarn, à Little Langdale en 1947, un an avant sa mort. Cet ultime création a été immortalisée par le superbe essai de Stefan Themerson, écrivain et éditeur anglais d'origine polonaise (cf. «L'Ennemi» n°1, 1980, Christian Bourgois éditeur).
L'aspect sans doute le plus passionnant de cette exposition réside dans les petites sculptures réalisées à partir de 1944, car elles sont assez peu connues et montrent un aspect particulier de la démarche de Schwitters à la fin de sa vie : il utilise des objets de récupération, des cailloux, des galets, des morceaux de bois qui se réfèrent explicitement aux ustensiles de la préhistoire, comme si l'artiste avait vu son art comme un art de l'ultime survivance face à la barbarie l'ayant condamné à l'exil.
| Gérard-Georges Lemaire 06.11.2001 |
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