L’usage du monde en images

Comment a été préparée cette exposition ?
Daniel Girardin, conservateur du musée de l’Elysée. La famille de Nicolas Bouvier a déposé l’ensemble du fonds photographique retrouvé dans son atelier au musée de l’Elysée. Pour la première fois, nous avons ainsi eu accès à un millier de photographies qui n’avaient été que parcimonieusement publiées dans des articles ou exposées dans des expositions. Pendant les trois années qu’a duré le tri de ces négatifs et de ces tirages, nous avons découvert l’ensemble des photographies prises pendant le voyage connu par la publication de L’usage du monde. Nous en avons sélectionné certaines en fonction de leur qualité mais aussi pour donner tout le sens du périple. Vingt-cinq photographies ont été tirées en grand format pour illustrer deux aspects caractéristiques du travail de Nicolas Bouvier, la subtilité de l’approche des autres et la violence, la démesure des paysages. Suivent 80 photographies en 40 x 50 cm présentées de manière chronologique pour restituer le parcours depuis Genève jusqu’à Ceylan.

Quelle est l’originalité de ces photographies de voyage ?
Daniel Girardin. Nicolas Bouvier n’était pas un photographe qui voyage mais plutôt un voyageur qui photographie. Ses images illustrent ses rencontres et ses découvertes au coup par coup et l’ensemble est bien plus authentique que s’il l’avait planifié avant son départ. D’ailleurs, à cette époque, il avait déjà pris des photographies en Laponie par exemple, mais il n’était pas professionnel. C’est au Japon qu’il a commencé à vivre de ce travail. L’autre point important, c’est la tradition dans laquelle s’inscrit son voyage. Les Suisses sont des déracinés. Ils ont beaucoup émigré et leur absence de passé colonial a contribué à ce qu’ils se sentent chez eux à la fois nulle part et partout. En ce sens, on peut rapprocher Nicolas Bouvier et Ella Maillart qui a elle aussi beaucoup écrit et photographié en Orient.

Peut-on parler d’une redécouverte de son travail ?
Daniel Girardin. Grâce à L’usage du monde et aux Chroniques japonaises, la renommée littéraire de Nicolas Bouvier ne s’est jamais démentie. Par contre, son travail sur l’image n’était connu que de manière éclatée par les chroniques qu’il écrivait ou par les projets auxquels il collaborait. On peut, par exemple, évoquer deux expositions du musée de l’Elysée, La famille Boissonnas et Ella Maillart, ou un livre réalisé avec Pierre Starobinski autour de ses photographies asiatiques, Sous la vapeur blanche du soleil. Nous voulons aujourd’hui mieux faire connaître l’ensemble de son travail. Avec l’exposition Le corps, miroir du monde, Pierre Starobinski s’est chargé d’illustrer son travail d’iconographe. Ici, nous nous chargeons de son œuvre de photographe.