Sur la route de la soie

Depuis les années 1980, les kilims ont gagné leurs lettres de noblesse. Contre-coup de cet intérêt, leur production s’est mécanisée et leur qualité dégradée. Les 60 pièces exposées à l’Espace Chevalier sont anciennes ou contemporaines mais toutes ont été réalisées avec des laines filées à la main et teintées avec des pigments naturels. Un signe distinctif l’indique avec certitude : ce sont les abraches, ces bandes horizontales et irrégulières de nuances différentes nées de variations d’intensité de la teinture. Ces aspects techniques sont d’autant plus primordiaux que ce sont eux qui définissent le kilim. Il s’agit d’un tapis plat, tissé à l’aide d’un métier horizontal - comme les tapisseries occidentales de basse-lice - et non un tapis « à velours », au point noué. Si cette terminologie est plus particulièrement réservée aux textiles de Perse, du Caucase et de l’Anatolie, elle est également employée pour ceux des Balkans, de Bessarabie, d’Afghanistan ou d’Afrique du nord.

Les kilims étaient généralement fabriqués par les femmes qui, dès leur plus jeune âge, apprenaient les procédés qui leur permettraient de constituer leur dot. Certains ont pu être tissés dans des ateliers sédentaires, comme ceux de la ville de Senneh, en Perse, qui a donné son nom à un type de kilim particulièrement recherché pour sa finesse. Chez ces populations nomades, ils servaient d’entrées de tente, de tentures divisant la yourte, de couvertures pour les hommes, les chevaux ou les chameaux, de nappes pour déposer les plats (« soffreh »), de berceaux suspendus ou encore de sacs lors des voyages...

Au gré des mouvements de caravanes, les particularités des kilims ont fait l’objet de nombreux échanges. Des styles régionaux se dessinent pourtant. Ils concernent les gammes colorées, qui sont vives en Anatolie et plus sourdes en Perse. Ils touchent aux sujets : la répétition de motifs géométriques dans le Caucase contrastant avec les fleurs, les animaux et les arbres de vie des kilims Sarkoy bulgares. Parfois, des variations techniques surviennent comme dans le cas du soumak, inauguré dans la ville caucasienne de Shemakha. Caractérisé par un enroulement supplémentaire d’un fil de trame autour des fils de chaîne, il confère au kilim un aspect rebrodé et une solidité accrue. L’exposition invite à redécouvrir la diversité de pièces conçues selon les techniques ancestrales, celles-là même qui faisaient l’admiration de Marco-Polo qui, lors de son voyage de 1270, parlait des «plus fins tapis et les plus beaux du monde».