Saura, gravure à l'espagnole

En quoi cet artiste entre-t-il dans votre politique d’exposition ?
Caroline Joubert, commissaire de l'exposition. L’une des vocations du musée des beaux-arts de Caen consiste à organiser des présentations d'envergure consacrées à la gravure ancienne et aux estampes contemporaines. Outre une collection de peinture importante, nous possédons un ensemble de plus de 50 000 estampes de la fin du 15e siècle au début du 19e siècle qui appartiennent au legs Bernard Mancel. Après la présentation des œuvres de José Maria Sicilia, l’année dernière, nous choisissons aujourd’hui de faire découvrir le travail d’une autre figure de l'art espagnol : Antonio Saura.

Parlez-nous de son œuvre.
Caroline Joubert. Né à Huesca, en Aragon, en 1930, Antonio Saura commence très tôt sa carrière de peintre. L’originalité de l’artiste réside dans sa parfaite maîtrise des techniques de la gravure et la liberté de création à partir de méthodes diverses. S’il utilise parfois la gravure en taille douce, Saura privilégie la lithographie et la sérigraphie offrant à l’emploi de la couleur toutes ses possibilités. Il parle alors d’ « ascèse de couleurs en plein délire de noir et de blanc ». Parmi ses thèmes de prédilection, les Dames, un sujet qu’il reprendra tout au long de sa vie et qui n'est pas sans évoquer les toiles de Willem de Kooning. La série « Historia de España » retrace toute une galerie de portraits de l’histoire espagnole, d’Isabelle la Catholique à Franco. « Galería de América » brosse un portrait de la société sud-américaine des mendiants aux évêques. Les 18 sérigraphies de la série des « Moi », dont 12 seulement sont exposées, présentent un travail à partir de photographies de l’artiste, triturées, disloquées de manière à créer des autoportraits monstrueux, ce qu’il appelle le « narcissisme de l’anti-narcissisme. »

Comment peut-on classer Saura dans l’histoire de l’art du 20e siècle ?
Caroline Joubert. Ayant vécu sa période de formation durant la décennie agitée qui mène à la guerre civile, l’artiste ne pouvait faire abstraction de cet arrière-plan historique dans ses créations. La mainmise de Franco sur le pays n’a pas facilité sa réconciliation avec l’histoire comme en témoigne cette présence latente dans ses œuvres. Saura conserve ce goût pour l’héritage artistique dans sa série « Remenbrandt », contraction de Remember et de Rembrandt. En partant de l’autoportrait au vieillissement exagéré de l’artiste hollandais, Saura accentue encore les difformités jusqu’au le paroxysme. Il utilise les dispositifs plastiques des œuvres anciennes et plus récentes comme sa série « Dora Maar ». Ce peintre des figures n’est en rien abstrait. Il exerce un art de la démesure dans l’excès des formes, des couleurs, de la violence... ce qui n’empêche pourtant pas une certaine élégance.

Quelle place occupe l’estampe dans sa production artistique ?
Caroline Joubert. Ses œuvres gravées tiennent une place identique dans son œuvre à la peinture et au dessin. Des 632 estampes crées par l’artiste et répertoriées dans le catalogue raisonné récemment publié, environ 200 sont présentes dans l’exposition, toutes prêtées par la famille Saura. Comme le laissent penser ses titres et les commentaires qu’il en donne, Saura est un homme d’écriture. On peut noter un parallèle entre les textes et les images. Outre Notebook, memoria del tiempo dans lequel il commente ses travaux, l’artiste écrit sur Francis Bacon, Goya, Miró et s’interroge sur l'existence d’un art espagnol.